Espace de libertés | Décembre 2018 (n° 474)

Une communauté qui «code»


Libres ensemble

MolenGeek, c’est un «écosystème» composé d’un incubateur de start-ups, d’une Coding School et d’un espace de coworking. Julie et Ibrahim ont créé cet espace de formation au cœur de Molenbeek pour aider les jeunes – souvent issus de milieux défavorisés – à lancer leurs projets. Six promotions plus tard, les premières start-ups sont sur pieds.


Le 22 mars 2016, personne ne l’a oublié, la Belgique a été frappée par des attentats terroristes. Tous les regards se sont tournés vers Molenbeek, la «plaque tournante du djihadisme». L’image de cette commune bruxelloise s’est vue fortement dégradée dans le monde entier. Et c’est exactement à cet endroit que Julie Foulon et Ibrahim Ouassari ont souhaité implanter MolenGeek en 2017, pour aider les jeunes à se lancer comme entrepreneurs dans le monde numérique. «Ce domaine a toujours été réservé à l’élite, aux gens qui ont fait des études, aux classes moyennes et supérieures. C’est contre cette idée reçue que nous avons créé ce projet», explique Julie Foulon, cofondatrice de MolenGeek. Entrepreneuse, elle est à la tête de plusieurs start-ups. Ibrahim, son associé, lui, découvre le monde des technologies à l’âge de 20 ans. Autodidacte, il met sur pied son entreprise dans les nouvelles technologies en seulement cinq ans. Les deux associés se connaissent depuis longtemps, leur association est le fruit d’un double langage: «Ibrahim est Molenbeekois, il apporte son ancrage local, et moi, mon réseau dans le domaine», précise Julie Foulon.

Apprendre en faisant

Marwane fait partie de ces jeunes qui ont fréquenté la Coding School dès son lancement. Il décroche des cours à l’âge de 14 ans et c’est grâce à MolenGeek, quelques années plus tard, qu’il parvient à faire ce qui lui plaît vraiment: «J’ai toujours rêvé d’être entrepreneur mais on me disait que ça n’aboutirait à rien, que c’était beaucoup de risques, mon père m’a toujours dit qu’il fallait faire des études. Et puis, j’ai rencontré Ibrahim, mon “anti-père”. J’ai tenté ma chance, je n’avais rien à perdre.» Le jeune Bruxellois a donc lancé dans son premier projet, Street Access, en 2017: une carte interactive pour les personnes à mobilité réduite (PMR). «Vu que je n’avais pas les compétences requises pour développer une application, j’ai appris sur le tas. Le principe: apprendre, essayer, appliquer.» Aujourd’hui, à 24 ans, après deux années passées dans les locaux de MolenGeek, Marwane se rend compte qu’il ne vivra pas de son application, il souhaite prendre une autre direction et devenir autonome. «Ce qui a trait au social ne fait pas souvent gagner de l’argent. Ou alors, ça avance très lentement. Je travaille sur le côté pour vivre et je développe ma passion grâce à MolenGeek. Cela a ravivé ma flamme, m’a donné la motivation dont j’avais besoin et m’a appris les bases du codage.»

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À MolenGeek, on apprend un métier, mais aussi à retisser les liens sociaux. © Esen Kaynak

Seule exigence: la motivation

Mais chez MolenGeek, il existe aussi des projets qui s’avèrent rentables. T-IL (The restaurant/bar/museum I Love) est la première start-up issue du projet, «une application de recommandation touristique 100% personnalisée au goût de ses utilisateurs». Elle a été créée par Loïc et Ricardo en octobre 2016. Aujourd’hui, Ricardo est seul à poursuivre l’aventure. Mexicain d’origine et étudiant international à Bruxelles, il a trouvé un réseau de développeurs qui pouvait l’aider à concrétiser ses idées. «La seule exigence de MolenGeek, c’est la motivation. On y trouve beaucoup d’entraide. Ce n’est ni une école ni une formation, c’est presque une famille où les maîtres-mots sont entrepreneuriat et innovation.» Ricardo a de nouvelles ambitions pour T-IL, devenu aujourd’hui Locali. «Je me suis rendu un an aux États-Unis, au Canada et au Mexique, j’y ai fait une étude de marché et j’ai décidé d’élargir l’application au monde anglophone. L’ambition est de développer, pour 2019, un nouveau plan marketing qui élargirait le public cible.»

Ni une école ni une formation, MolenGeek c’est presque une famille où les maîtres-mots sont entrepreneuriat et innovation.

Le jeune homme dirige aujourd’hui trois projets: une boîte de marketing digital, une application réunissant toutes les fermes organiques du monde ainsi que Locali. Pour chacun d’entre eux, MolenGeek a joué un rôle important. «À la base, je connaissais un peu les langages HTML et CSS. Mais j’ai trouvé un réseau de développeurs pour créer une application mobile, ils m’ont appris les démarches pour devenir indépendant. Leurs critiques et conseils ont permis de faire avancer mes projets.»

93% d’emplois à la clé

Taoufik, un jeune Molenbeekois de 22 ans, est chauffagiste de formation. Aujourd’hui, il est à la tête de l’entreprise MyVision360, une agence audiovisuelle (infographie, production de vidéo, communication). «Je suis arrivé à MolenGeek via un ami qui m’a renseigné sur la formation en développement web de la Coding School. Ce domaine m’a toujours intéressé, mais à l’époque la logique me paraissait trop complexe. J’ai beaucoup appris à l’aide d’un coach de MolenGeek. J’ai acquis une mentalité d’entrepreneur à force de me lancer dans des projets web». Son projet dorénavant sur pied, Taoufik suit son aventure de manière autonome, avec ses associés.

«Si la formation n’est pas reconnue par la Fédération Wallonie-Bruxelles – elle ne se revendique pas de l’enseignement supérieur –, elle est reconnue sur le marché de l’emploi, sauf pour les jobs où le niveau de salaire est lié à l’obtention d’un diplôme (master ou bachelier professionnalisant)», nous dit Benjamin Stewart, de l’Académie de recherche et d’enseignement supérieur. C’est en effet ce qui apparaît, confirme Julie Foulon: «À la fin de la formation, 93% des apprenants ont soit trouvé un emploi, soit monté leur entreprise, soit continué dans une autre formation Tech plus avancée.»

Après TechStation Padova, le MolenGeek italien situé à Padoue, les fondateurs vont ouvrir deux nouvelles antennes à Schaerbeek et à Laeken. «Schaerbeek sera situé dans les Écuries Van den Tram et aura pour thématique le New Media. Laeken, quant à elle, sera davantage concentrée sur la thématique du Marketing & Advertisment. Nous travaillons également en étroite collaboration avec l’Association pour la promotion de l’éducation et de la formation à l’étranger pour ouvrir un MolenGeek à Oujda au Maroc». Aujourd’hui, Julie et Ibrahim sont fiers, car ils ont le sentiment de faire bouger les lignes et de faire prendre conscience de la nécessité d’une plus grande diversité dans le secteur «tech».