Le développement de l’intelligence artificielle, de l’homme connecté, la commercialisation d’une artificialisation des corps et des milieux s’inscrivent dans le cadre d’un transhumanisme, voire d’un post-humanisme se posant en climax de l’ère anthropocène.
La production d’une vie artificielle trouve d’une part son origine dans une réaction à un déficit de l’expérience du corps propre, à une perte d’ancrage dans la matière, d’autre part dans le schème prométhéen parachevant une histoire de l’Occident mue par la raison instrumentale. La proposition ou plutôt l’imposition d’un homme dit « augmenté », greffé, mutant, cyberbipède prothétique, offre tous les risques de donner naissance à un homme, ou transhomme, diminué, aliéné. Sans consoner le moins du monde avec un passéisme auréolé de parfums nostalgiques ou avec une technophobie de principe, comment ne pas voir que les noces des pixels et du transgénisme, la connectivité généralisée s’avancent comme de redoutables et efficaces instruments de contrôle ?
L’ingénierie du vivant procure les meilleures garanties d’une société de surveillance illimitée où biotechnologies et empire du virtuel asseyent le triomphe du biopouvoir. L’intelligence artificielle se met au service d’un totalitarisme high-tech. La « siliconvalleysation » des consciences programmées et cadenassées par les bits aboutira à une logique ségrégationniste : la séparation entre riches, dominants (hyperconnectés, implémentés…) et pauvres, dominés (sacrifiés). Un scénario qui, s’il venait à se produire, accoucherait d’une nouvelle expression de la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave : le renversement des polarités, à savoir la victoire de l’esclave devenant le maître du maître et la défaite du maître devenant l’esclave de son esclave.
Comme l’a développé Bernard Stiegler, la vérité du transhumanisme a pour nom le néodarwinisme, une sélection sociale discriminant les individus rentables (réduits au statut de marchandises) de la masse des exclus. L’ensemble du vivant est assimilé à un stock soumis à une modélisation qui le discipline. Faire de la vie l’objet d’une expérimentation qui la manipule parachève une métaphysique nihiliste pour laquelle la vie doit être domestiquée, vaincue, dépassée au moyen de sa régulation.