L’ULB a récemment désigné une rectrice pour tenir le gouvernail durant les quatre prochaines années : Annemie Schaus est professeure de droit, ancienne doyenne de faculté et ancienne vice-rectrice. Les défis à relever par l’université sont nombreux, et le moins que l’on puisse dire est qu’elle a le sens des valeurs progressistes et de l’engagement.
Il n’y avait plus eu de femme à la tête d’une université francophone depuis 1990. Est-ce que vous souhaitez, en tant que rectrice, remettre les questions de genre en avant ? Du moins, leur donner plus de place au cours de ce rectorat ?
Savez-vous que la « rectrice » est une plume caudale de l’oiseau, qui l’aide à se diriger en cas de tempête ? Tout un symbole ! Je compte continuer la politique qui est menée depuis plusieurs années par l’ULB en matière de genre. Lorsque j’étais vice-rectrice, notamment, nous avons adopté la mesure cascade qui consiste à permettre de briser le plafond de verre dans la promotion des membres du corps académique. Yvon Englert, le recteur à qui je succède, a également mis en œuvre de nombreuses mesures en faveur de l’égalité homme-femme. Je vais m’inscrire dans la continuité, tout en tenant compte des autres problèmes de discrimination et donc de la diversité en général.
Quels sont les plus grands défis que vous voudriez relever ?
Le plus important et le plus urgent, me semble-t-il, est de réparer l’ascenseur social. Aujourd’hui, les étudiants ont moins de chances qu’à mon époque de pouvoir réussir à l’université. Il y a actuellement un problème de sous-financement et donc de sous-encadrement, notamment des premières années. À l’ULB, avant la crise de la Covid, un étudiant sur trois se trouvait dans une situation précaire et recourait à l’aide sociale. La situation est encore plus douloureuse pour eux aujourd’hui. Ils sont nombreux à devoir travailler pour payer leurs études, et l’une de mes priorités est de veiller à leur bien-être. Tout comme celui de la communauté universitaire dans son ensemble, et donc du personnel enseignant. Je pense à une amélioration des promotions, mais aussi à un allégement des charges administratives, un décloisonnement entre des corps. Renforcer le rôle de l’ULB au sein du paysage universitaire belge, mais également européen et international est aussi un objectif.
En parlant de paysage, la ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Glatigny, voudrait réformer le décret de 2013 définissant le paysage de l’enseignement supérieur et l’organisation académique des études en raison de certains de ses effets pervers. Vous y êtes favorable ?
On est unanimes : le décret paysage, même si c’est une évolution très importante du parcours des étudiants, a des effets pervers parmi lesquels l’allongement des études. Cela oblige les étudiants à travailler beaucoup plus, ce qui les empêche de venir aux cours, de suivre les guidances qui leur sont proposées. Ils sont aussi parfois au bout du rouleau tant ils doivent cumuler différentes activités. Le décret n’a, jusqu’à présent, pas permis aux étudiants de mieux réussir. Il faut analyser et améliorer les dispositions du décret paysage qui coincent, à savoir les prérequis et la difficulté pour les étudiants de savoir où ils en sont dans leur parcours.
Animée par le sentiment de justice, la nouvelle rectrice de l’ULB Annemie Schaus entend revenir à l’essentiel : une université ouverte et solidaire. © BelPress
L’ULB, c’est aussi l’hôpital académique Érasme, un acteur de la santé important dans la capitale. Comment s’en est-il sorti dans cette crise sanitaire ?
Les collègues de l’hôpital Érasme et de la faculté de médecine se sont vraiment mobilisés au plus fort de la crise sanitaire : des médecins sont venus en renfort des équipes Covid. La solidarité a été énorme, et tous ont joué un rôle remarquable et exemplaire. En matière de recherche aussi. Avec la crise, on a vu et on continue de voir beaucoup de professeurs de l’ULB sur les plateaux de télévision, l’occasion de mettre en avant la recherche biomédicale, et la recherche universitaire en général. C’est en fin de compte une occasion de démontrer à la société et aux politiques qu’il faut refinancer la recherche dans les universités, qu’elle est vraiment fondamentale – et bien nommée ! Et pas uniquement en cas de crise sanitaire.
Vous proposez d’ailleurs, pour ce refinancement, une espèce de tax shelter. Cela fonctionnera comme le système que l’on connaît dans le monde du cinéma ?
Ce serait comme dans l’audiovisuel. En québécois, on dit « abri fiscal », c’est-à-dire que la personne qui investit dans la recherche scientifique serait exemptée d’impôt sur ces versements-là. Les premiers contacts qu’on a pris avec le ministère des Finances sont positifs, donc on va travailler à l’élaboration d’un texte. Je propose également d’améliorer ce que l’on appelle couramment la défiscalisation de la recherche, qui permet aux universités de ne pas payer une partie du précompte professionnel des chercheurs.
Le 28 septembre dernier, à l’occasion de la Journée internationale du droit à l’avortement, se sont tenus des rassemblements devant les palais de justice de Bruxelles, de Liège, de Mons, de Charleroi et d’Arlon. À l’initiative du mouvement laïque. Quel regard portez-vous sur les manœuvres politiques qui ont empêché le vote, cet été, de la loi dépénalisant totalement l’avortement ?
Je l’analyse sous deux angles. J’ai fait mon stage et mes premières années de collaboration au barreau de Bruxelles chez Roger Lallemand, en pleine période durant laquelle il défendait la loi dépénalisant l’avortement. Donc, du point de vue personnel, j’ai été très étonnée que cela pose autant de problèmes en 2020 qu’à l’époque. Si Roger Lallemand était toujours là, il serait quand même extrêmement déçu de voir l’état des discussions. En tant que professeur de droit public, je sais que solliciter l’avis du Conseil d’État pour chaque nouvelle proposition d’amendement est connu pour faire partie des moyens dilatoires, pour retarder la procédure. Constater la répétition de cette pratique m’a également éberluée, car c’est contraire aux principes fondamentaux de la démocratie. Et maintenant, qu’on en ait fait un enjeu de constitution du gouvernement, c’est encore pire ! Dans une démocratie « normale », lorsqu’il y a une majorité au Parlement, on adopte la loi, quelle que soit la position du pouvoir exécutif. On a complètement renversé le siège de la souveraineté, ce n’est pas comme s’il n’y avait pas de majorité au Parlement ! Que le corps des femmes soit l’enjeu de pressions politiques de ce type-là est extrêmement inquiétant.
Pensez-vous, en tant que rectrice, que l’université a un rôle particulier à jouer pour faire avancer les droits des femmes ?
Je pense que les académiques, de manière générale, doivent s’impliquer dans le débat public, même en dehors de leur champ strict de compétences. Caroline Pauwels, rectrice de la deuxième grande université libre à Bruxelles, la VUB, et moi-même, nous sommes complètement sur la même longueur d’onde et convaincues que nous avons un rôle à jouer. Par exemple, nous avons récemment signé un amicus curiae devant la Cour constitutionnelle roumaine. Dans ce pays, une loi vise à interdire les masters sur les études de genre. Notre exemple montre qu’il est possible de briser le plafond de verre. J’ai une fille de 15 ans et, mine de rien, je me rends compte qu’à son âge, les stéréotypes de genres sont déjà très ancrés, même quand on vient d’une famille qui essaye de ne pas transmettre ce type de stéréotypes. Avoir des exemples de femmes qui exercent ce genre de fonction, même de manière symbolique, ça peut aider les jeunes également.
Dans son plan stratégique, Cap 2030, publié il y a quelques mois, l’ULB rappelait son attachement à la laïcité, à la tradition du libre examen. Ce sont aussi des valeurs que vous voulez défendre encore et toujours ?
Tout à fait ! Je pense qu’il faut mettre à jour la notion de libre examen, pour renforcer le tissu social entre les membres de la communauté universitaire. Nous sommes tous individuellement attachés à ce principe. Parmi les personnes que j’ai rencontrées pour préparer mon programme, et pendant la campagne électorale, beaucoup m’ont exprimé leur attachement à l’ULB et aux valeurs du libre examen. Il est temps, je pense, de retisser le lien au sein de la communauté universitaire. L’ULB a toujours été de tous les combats, pour l’avortement, pour la diversité, pour la reconnaissance des minorités et des orientations sexuelles. Je compte évidemment continuer sur cette voie-là et soutenir tous les collègues et tous les étudiants qui participent à défendre la laïcité.