Espace de libertés | Novembre 2020 (n° 493)

Douze étoiles et des lueurs d’espoir


Dossier

Le discours sur l’état de l’Union prononcé par la présidente de la Commission européenne à la rentrée a fait naître de grands espoirs. Le contenu est-il à la hauteur des attentes en ce qui concerne les besoins des plus vulnérables ?


Le 16 septembre, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a prononcé son premier discours sur l’état de l’Union, entré dans l’usage depuis 2010. Du fait des circonstances si singulières du moment, il était particulièrement attendu pour redonner un élan et une vision de sortie de la crise économique causée par la pandémie de Covid-19.

Sur la forme, il s’agit indéniablement d’un progrès par rapport à ceux de son prédécesseur. Le ton, ambitieux, traduit la volonté de redonner espoir, et confiance dans la construction européenne. « Confiance » : le mot apparaît souvent, et est un leitmotiv du discours. L’enjeu est de taille, à une époque minée par la défiance envers les institutions publiques en général et celles de l’Union en particulier. Nous allons voir si les annonces faites sont à la hauteur des intentions, en retenant l’angle de ce dossier, les besoins des plus vulnérables.

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Certaines annonces représentent indéniablement un grand progrès, et laissent espérer une relance économique basée sur la solidarité entre États membres de l’Union. Cependant, il y a aussi des éléments qui manquent, ou qui n’ont été mentionnés qu’« en passant ». En tout état de cause, tout ne dépend pas de la Commission et de sa présidente.

Des éléments clairement positifs

Un élément central indéniablement positif du discours de la présidente de la Commission est l’annonce du plan de relance, conçu pour faire face aux conséquences économiques de la pandémie. Il constitue une nette rupture avec le dogme néolibéral qui a été à l’œuvre durant les décennies passées, et notamment à la suite de la crise des dettes souveraines. À l’époque, les États touchés ont été contraints d’adopter des programmes d’austérité, malgré leur inefficacité démontrée, pire, leur caractère dommageable. Cela n’a fait qu’amplifier les épreuves des populations et a renforcé le sentiment anti-européen dans de nombreux États du sud du continent qui en étaient jusqu’alors relativement épargnés. Ces politiques ont également révélé la permanence des stéréotypes nationaux entre Nord et Sud de l’Europe, et ont montré un spectacle désolant de désunion entre États membres.

La Commission présidée par Ursula von der Leyen a le mérite de rompre avec le « dogme austéritaire ». Le plan de relance, initialement proposé par la Commission le 27 mai, faisant suite à une initiative franco-allemande, a été adopté par les chefs d’État et de gouvernement après moult tergiversations et marchandages en juillet, sous une forme modifiée, mais qui en conserve l’essentiel. L’Allemagne, traditionnellement gardienne du dogme, a heureusement changé son fusil d’épaule. Le plan de relance figure en bonne place dans le discours de la présidente.

Il s’agit même de son élément central. Le plan permettra de relancer l’économie de l’Union, et en particulier des pays qui auront le plus besoin de liquidités. Si elle s’avère efficace, cette relance de l’économie sur un mode keynésien sera bonne pour tous. Elle permettra de sortir rapidement de la récession, de relancer l’activité et donc de combattre le chômage, ce qui aura un effet bénéfique également pour les plus vulnérables. La relance de l’économie permettra aussi de renflouer le budget des États, qui pourront maintenir des programmes sociaux et les services publics, alors qu’une récession prolongée serait une catastrophe, en premier lieu pour les salariés précaires. Dans le même sens, le discours rappelle également les mesures de soutien de l’économie prises au plus fort de la pandémie, bien qu’il s’agisse surtout de mesures décidées par la Banque centrale européenne, indépendante de la Commission, pour pallier l’urgence, et ce dès le mois de mars.

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Parmi les autres points positifs, l’annonce du projet de créer un salaire minimum au niveau européen. « La vérité est que, pour trop de personnes, le travail ne paie plus », a noté Ursula von der Leyen. La création d’un salaire minimum au niveau de l’UE est une annonce ambitieuse, un projet digne d’une Union fondée sur « une économie sociale de marché ». Cette initiative pourrait véritablement contrebalancer l’Europe néolibérale fondée sur le dumping salarial. Il reste à voir quel contenu concret sera donné à cette proposition, au vu des législations et des économies très différentes selon les États.

Le plan de connecter à Internet l’ensemble de l’UE « jusqu’au plus petit village » vise à réduire la fracture numérique : « Si nous cherchons à créer une Europe de l’égalité des chances, il est inacceptable que 40 % des habitants des zones rurales n’aient toujours pas accès à une connexion à haut débit rapide. » En effet, tous ont pu constater à quel point c’est essentiel.

Des manques

Le discours reconnaît implicitement des lacunes en matière de santé. Notons que la santé ne relève pas de la compétence de l’Union, et la présidente le déplore : elle souhaite que l’Union en acquière davantage dans ce domaine. Cela dit, les systèmes de santé de nombreux États membres étaient défaillants en raison de coupes budgétaires, imposées par la Commission en vertu de l’idéologie néolibérale appliquée de manière stricte depuis une décennie, notamment dans les pays les plus touchés par les crises.

Surtout, il faut noter que la plupart des groupes les plus vulnérables ne sont pas mentionnés, sauf pour leur rendre hommage. C’est bien, mais cela n’engage à rien. Le discours commence par saluer le travail du personnel de santé, et des autres travailleurs de première ligne, mais il ne contient par la suite aucune annonce de mesure concrète. Il ne contient rien sur le sujet de l’égalité des sexes, de l’impact du confinement et de la crise économique sur la situation professionnelle des femmes et leur taux d’emploi, ou leur exposition à la précarité, alors que l’égalité hommes-femmes est un objectif de l’Union. Il n’y a pas de mention de l’augmentation des violences de genre, ni des restrictions d’accès aux services de santé sexuelle et reproductive, notamment à l’avortement, pourtant tous des phénomènes bien documentés. De la même manière, le discours se termine par un mot émouvant sur les enfants, mais ne contient rien sur le renforcement des inégalités dû au confinement, les problèmes d’accès à l’éducation à distance et son incidence sur les enfants des milieux les plus défavorisés… Sur les migrations, la présidente de la Commission a annoncé le nouveau plan fondé sur une « approche axée sur l’humain et empreinte d’humanité ». Sa publication quelques jours plus tard a déçu ceux qui attendaient une refonte ambitieuse de la politique commune en la matière. À propos de ces publics, parmi les plus vulnérables et qui subissent davantage la crise économique, la présidente de la Commission s’est contentée de rendre un hommage, sans doute bien mérité, mais loin des attentes.

Limites et menaces pour l’avenir

Il faut reconnaître que tout ne dépend pas de la Commission. Elle est limitée tant dans ses compétences – et à ce titre, elle ne peut pas être comparée avec un gouvernement – que dans ses pouvoirs. Le plan de relance doit encore être ratifié par les États membres, mais il est actuellement pris en otage de conflits politiques. La Hongrie et la Pologne menacent de ne pas le ratifier à cause de la conditionnalité sur le respect de l’État de droit, ce dont les pays « frugaux », surtout les Pays-Bas, profitent pour menacer à leur tour de ne pas accepter un plan qu’ils considèrent comme trop généreux, surtout envers les pays du sud de l’Europe toujours soupçonnés de vouloir profiter des largesses des États « plus vertueux » du Nord… Un rejet du plan de relance ferait porter un grand risque à l’avenir de l’Union. Espérons que les gouvernements et les parlementaires des États membres prendront leurs responsabilités, dans l’intérêt général.

En conclusion, le discours sur l’état de l’Union se distingue par une approche volontariste en matière économique. Quelles que soient les limites du plan de relance, il s’agit clairement d’un progrès et d’une rupture avec le passé. S’il est ratifié et mis en œuvre, il bénéficiera à l’ensemble de la société, et donc aux plus vulnérables. Les annonces se heurtent toutefois à certaines limites, tenant certes au fait que la Commission ne peut pas tout, mais il y a aussi des manques regrettables, en particulier sur la situation des membres les plus vulnérables de la société.