Si la pauvreté peut toucher tout le monde, on constate cependant que les femmes risquent davantage de tomber dans la précarité que leurs homologues masculins. La crise n’a d’ailleurs fait qu’aggraver ce phénomène.
La société dans laquelle nous vivons est structurellement sexiste, résultat de siècles de discriminations envers les femmes, qu’elles soient prescrites par les religions, entérinées par les législations et soutenues par une culture patriarcale. La pauvreté n’échappe pas à ce biais sexiste : le cumul des discriminations au cours de la vie des femmes contribue à leur appauvrissement, mais aussi à la détérioration de leur santé physique (pénibilité des tâches, report de soins, etc.) et psychique (mésestime de soi, isolement, etc.).
Sexisme structurel : inégalités et stéréotypes
Pourquoi les femmes se retrouvent-elles généralement plus pauvres que les hommes ? L’après séparation ou divorce est un élément déterminant car, dans 80 % des cas, ce sont elles les cheffes des familles monoparentales. La moitié de ces femmes doivent se débrouiller sans aucune contribution pour les enfants, ce qui engendre un taux de pauvreté de 42,6 % pour ces femmes et leurs enfants. Quand une contribution alimentaire est versée, le risque de pauvreté est encore de 22,8 %, parce que les frais de relogement, le rachat de meubles et tous les autres coûts tels les moyens de transport leur incombent. En résumé, 46 % des familles monoparentales ont des revenus qui se situent en dessous du seuil de pauvreté.
Sur le plan professionnel, les femmes sont, comme l’a démontré la crise sanitaire1, majoritaires dans les secteurs d’activités souvent dévalorisés et sous-financés : ainsi 80 % d’entre elles travaillent dans le secteur hospitalier, 88 % dans les maisons de repos et de soins, 86,5 % dans les maisons de repos pour personnes âgées, 96 % dans les crèches, 95 % dans le secteur des aides familiales à domicile, 60 % dans le secteur du commerce de détail en magasin non spécialisé (grande distribution). Le travail invisible et non rémunéré, à savoir les tâches ménagères, est également dévolu aux femmes avec, pour conséquences, des pertes cumulées en matière de revenus, de temps pour se former, pour nouer de nouvelles relations ou simplement pour soi.
La liste des causes qui contribuent à la précarité des femmes est encore longue : inégalités salariales, plafond de verre, inégalités patrimoniales et encore et toujours des emplois plus précaires et à temps partiel (quatre fois plus de femmes que d’hommes2). Ce sont cependant les violences conjugales qui apparaissent dans les études comme l’un des facteurs majeurs de l’appauvrissement des femmes. Mais toutes les discriminations ne sont pas mesurables, car les indicateurs et les statistiques restent peu genrés. Le constat est posé par les professeures de l’ULB Sile O’Dorchai et Danièle Meulders, qui ont corrélé le taux de risque de pauvreté et les rapports de pouvoir au sein des couples. Les résultats sont révélateurs : le taux de dépendance financière des femmes est de 36 %, alors que le taux de risque de pauvreté baisse à 16 % quand il est calculé sur la base des revenus du ménage3.
Les conséquences sur le mental des femmes
Outre les inégalités et les biais sexistes qui prédisposent les femmes à la pauvreté, il faut savoir que ces dernières ne vivent pas non plus la précarité de la même manière que les hommes. La commission éthique du CFFB s’est penchée sur cet aspect psychique souvent occulté dans les études. Le retour d’expérience des associations de terrain est sans appel : les femmes sont culpabilisées de ne pas pouvoir joindre les deux bouts et offrir le nécessaire à leurs enfants. Nathalie4, par exemple, est tiraillée psychologiquement entre deux injonctions : faire plaisir à ses enfants avec les faibles moyens financiers qu’elle a, tout en devant les nourrir de la façon la plus saine possible.
Le poids de la charge mentale
Les femmes sont en général confrontées à une charge mentale qui leur demande d’être irréprochables à tous les niveaux : un travail à temps plein pour celles qui en ont un, mais qui ne leur permet pas d’être suffisamment disponibles pour les enfants, pour gérer les tâches domestiques, les soucis administratifs, mais aussi souvent pour apporter des soins à leurs parents ou à leurs beaux-parents. Avec, au bout du compte, aucun temps pour elles. En plus de cela, elles sont confrontées à l’aggravation de cette charge mentale à cause de la précarité de leurs moyens financiers, qui implique d’autres tâches à gérer pour le bien-être de leur famille. Ainsi risquent-elles d’être contrôlées par les services auxquels elles s’adressent pour obtenir de l’aide en devant justifier, par exemple, le choix de leur nouveau compagnon, de subir les remontrances du personnel enseignant lorsque les enfants n’ont pas le livre ou le matériel requis, ou encore les injonctions sur leur apparence et leur façon de se présenter. Les exemples sont légion, à l’instar des procédés de survie qu’elles doivent déployer pour faire bonne figure, pour répondre aux attentes et pour éviter les mesures de rétorsion. Quitte à ruser et à s’épuiser !
Il s’agit donc d’une double peine pour les femmes, qui sont à la fois généralement plus pauvres que les hommes et, à cause d’une société structurellement sexiste, subissent et endossent une charge mentale écrasante liée à cette précarité. Cette charge mentale aggrave leur situation, ne leur laissant aucun répit pour tenter de mettre en place un changement de situation qu’elles espèrent favorable.
Quelles solutions ?
Plusieurs pistes pour lutter contre la pauvreté et les inégalités femmes-hommes existent, dont certaines figurent dans l’accord politique du nouveau gouvernement. La dénonciation, par les associations de femmes et la société civile depuis de nombreuses années, de l’injustice liée au statut de cohabitant semble avoir été entendue. De fait, ce statut défavorise particulièrement les femmes qui sont dépendantes économiquement de la personne considérée comme étant chargée de la famille5. Ce modèle est aujourd’hui dépassé, et l’on se dirige vers une automatisation des droits sociaux. Les droits et les aides sociales doivent eux aussi être réévalués à l’aune des réels besoins des femmes et de leur famille.
Les discriminations dans le monde du travail (plafond de verre, assignation à certains métiers, temps partiels et pensions plus faibles au bout du compte) ainsi que la difficulté à concilier harmonieusement vie professionnelle et vie privée contribuent à cette précarité et à l’amplification de la charge mentale. La revalorisation financière et symbolique des métiers qui emploient majoritairement des femmes (ceux du care, notamment) constitue donc une revendication importante, qui permettrait à la fois de lutter contre le sexisme dont souffrent ces professions, mais surtout d’octroyer un meilleur niveau de vie aux travailleuses, gage d’une émancipation et d’une liberté de choix plus grandes. Les discriminations au travail qui interviennent majoritairement durant ou après leur grossesse (une plainte sur quatre selon l’Institut pour l’égalité femmes-hommes), ainsi que les inégalités de salaire qui creusent toujours les écarts de richesse entre femmes et hommes au fil de leurs carrières devraient également être régularisées et prises en considération dans le calcul de la pension.
Côté réduction de la charge mentale, la création récente de « bulles de répit » à Liège qui permettent aux familles monoparentales de faire garder leurs enfants pour retrouver un peu de disponibilité représente une initiative novatrice qu’il faut encourager et reproduire. Celles-ci ne peuvent cependant pas remplacer le besoin de crèches supplémentaires et de gardes d’enfants.
Comme indiqué précédemment, l’autre grand fléau observé est la recrudescence, depuis le début de la crise sanitaire, des violences faites aux femmes. Le gouvernement fait de la lutte contre ces violences une priorité politique, ce qui devrait parallèlement et à long terme contribuer à réduire leur pauvreté. D’autres initiatives politiques, comme une proposition de résolution sur la gratuité des protections hygiéniques pour lutter contre la précarité menstruelle, sont prometteuses dans cette lutte contre la pauvreté. La crise sanitaire rend encore plus urgent le combat pour l’égalité entre les hommes et les femmes : c’est maintenant qu’il faut agir.
1 Émilie Djawa et Diane Gardiol, « Le Covid-19, nouvel ennemi des droits des femmes ? », mis en ligne sur www.cffb.be, le 28 avril 2020.
2 Sylvie Lausberg, « En Belgique, les femmes ne comptent pas ! », carte blanche parue dans Le Soir, le 12 juin 2020.
3 Élodie Blogie, « Isolés et familles monoparentales bouleversent le concept de ménage » dans Le Soir, 21 février 2020.
4 Prénom d’emprunt.
5 Coline Cœurderoy et Caroline Delava, « L’individualisation des droits sociaux : vers un modèle social individualisé », mis en ligne sur www.ccfb.be, le 7 avril 2020.