L’auteur et acteur d’origine libanaise Roda Fawaz présente son nouveau stand-up, « C’est qui c’fou ? », mis en scène par Éric de Staercke. Il y questionne la place de l’individu dans un monde fondu dans les réseaux sociaux, renouant par là avec ses thèmes chers : l’identité et la complexité humaines.
Depuis la fin de vos études théâtrales, vous avez privilégié le format « stand-up » qui vous permet d’aborder avec légèreté des sujets qui vous touchent.
Après avoir effectué un graduat en tourisme et, en dernière année, m’être inscrit à des cours de théâtre au Conservatoire en face de l’école, j’ai suivi une formation à l’IAD, l’Institut des arts de diffusion. Au départ, ni l’école ni la famille ne m’y prédisposaient. Dans mon environnement, on ne va pas au théâtre. Mais depuis, beaucoup d’amis que j’ai invités à voir mes spectacles ont pris un abonnement. J’ai vite été attiré par l’humour et le stand-up, mais je ne voulais pas faire que ça. Le stand-up me limite dans mon jeu d’acteur. Au Conservatoire, quand j’ai découvert des auteurs comme Racine ou Shakespeare, je me suis détaché de la littérature arabe pour écrire mes premiers spectacles.
Depuis votre spectacle On the Road… A, qui a reçu en 2016 le prix de la critique de la « Meilleure découverte », vous traitez de thèmes à la fois personnels et polémiques, comme l’identité.
Dans l’ensemble de mon travail, on retrouve des éléments qui composent une identité comme l’éducation, la religion, le métier, le sport ou toute autre passion, et qui peuvent poser problème quand on leur donne trop d’importance. Je suis également très inspiré par l’essai Les Identités meurtrières d’Amin Maalouf. Il évoque le fait que le regard d’autrui vous enferme dans une identité, tandis que celui d’autres personnes peut vous libérer. On the Road… A part de ma naissance à maintenant, et de la recherche d’identité. Avec humour et de façon théâtrale. J’y interprète une vingtaine de personnages. Et raconte par exemple, comment, en tant qu’Arabes et immigrés de la deuxième génération, on essayait de passer pour des Italiens. À la suite des débats liés à l’identité nationale en France et en Belgique, j’ai eu envie d’exprimer ces thèmes de manière non politique. De parler du conditionnement de l’individu, de l’identité… Des thèmes souvent traités de manière vulgaire par la presse ou les politiciens. J’amène un autre regard. Je ne suis pas un artiste engagé, mais concerné.
Présenté en début d’année, votre spectacle Dieu le Père, plus autobiographique, revient sur le parcours de votre mère.
Dieu le Père est moins drôle que On the road… A et travaille plus sur les émotions. Il s’agit d’un vrai spectacle, avec un vrai décor, etc. Je souhaitais plus faire tomber le masque, au travers du parcours de ma mère et de la religion. Au départ, mes parents vivaient en Guinée, puis ma mère a accouché au Maroc avant notre arrivée en Belgique. J’incarne un jeune homme qui cherche sa place entre une mère qui idolâtre un Dieu, et un père absent. Le regard est bienveillant. Le scénario est découpé en deux chapitres. Dans le premier, je critique, je ne comprends pas ce que Dieu exige, etc. Dans le second, je pense que chacun a son parcours et que l’important est que chacun se sente bien. Je n’attaque pas la religion, mais montre que sous le voile, il y a une complexité. Ma mère a été esthéticienne et a reçu une éducation musulmane. En vieillissant, elle s’est rapprochée de la religion.
Roda Fawaz est un enfant multiple du théâtre et de la télé. © Arie Elmaleh
Vous vous affirmez donc ici en tant qu’auteur et acteur ?
Je me sens davantage auteur-acteur, j’écris mes pièces en me basant sur mes souvenirs. À un moment, j’ai ressenti le besoin d’affirmer ma place dans ce métier. Je me suis dit : « Si tu ne fais pas ton spectacle, personne ne viendra te chercher. » Écrire est un mode de survie. De plus, dans ce spectacle, je privilégie le lien avec le public et je me sens libre en tant qu’acteur.
Cela se reflète également dans votre dernier spectacle en préparation, C’est qui c’fou ?.
On a mis deux ans à préparer ce spectacle. C’est l’histoire d’une personne qui regarde un peu ce monde étrange et compliqué, et tente d’y trouver sa place. Aujourd’hui, pour un peu exister, l’on doit être sur les réseaux sociaux : que ce soit pour prendre des nouvelles des autres, pour une rencontre amoureuse ou, en tant qu’artiste, pour se donner plus de visibilité. Or, quand tout se passe par le biais des applis, comment ne pas se créer une fausse vie ou être quelqu’un qui a envie de rencontrer des gens dans la vraie vie ? Le monde est désormais façonné par les réseaux sociaux, or je pense qu’il est important de rester honnête avec soi-même. Je voulais revenir sur des questions comme « c’est quoi, l’essentiel ? », « où va-t-on ? ». C’est comme si le personnage vivait déjà en confinement depuis longtemps, et en sortait pour partager des choses. Il y est aussi question de changement climatique et de survie en cas d’aggravation. Le texte parle surtout de la complexité de l’humain, de folie, d’excès, de tendresse, d’amour, de faiblesses… toujours avec dérision.
Est-il aisé de trouver son identité dans le milieu du théâtre ?
Être seul en scène me permet de faire ce que je veux, et avec qui je veux, cela m’offre une forme de liberté. Les contes et l’improvisation constituent un élément important de mes spectacles. J’aimerais également travailler avec d’autres gens de théâtre, mais dans le milieu, je me sens un peu enfermé dans une case. J’ai juste obtenu un rôle au théâtre dans une pièce d’Éric de Staercke, qui était mon professeur à l’IAD. Il a aussi mis en scène On the Road… A et mon dernier spectacle. De même, dans le contexte actuel, où les théâtres sont en position de survie, ils tentent de fonctionner, de s’adapter. Chacun opère dans son coin, il n’y a pas une grande mobilisation. Le milieu n’est pas très solidaire à la base.
En marge de cette approche seul en scène, qu’aimeriez-vous y proposer ?
J’aimerais travailler sur du Shakespeare. C’est mon auteur favori et je rêve de mettre en scène ou de faire quelque chose autour de l’une de ses pièces. De façon un peu décalée. Cela s’est fait, on peut par exemple parler du conflit entre la Palestine et Israël au travers de Roméo et Juliette.