Espace de libertés | Novembre 2020 (n° 493)

Des idées et des mots

Dans son dernier livre, la philosophe Stéphanie Roza examine les attaques dont l’héritage des Lumières est l’objet de la part de la gauche. Ces critiques, elle les juge d’une « radicalité inouïe » et visant « le cœur même de l’héritage », mettant en cause avec une égale vigueur les trois piliers de ce legs du xviiie siècle : le rationalisme, le progressisme et l’universalisme. Elle s’efforce d’en identifier les sources tout en reliant celles-ci à leurs expressions contemporaines. La partie du livre la plus développée concerne l’universalisme. Stéphanie Roza y décrit comment l’antiracisme et le féminisme « universalistes » sont attaqués par des groupes qui tiennent le haut du pavé, suscitant pétitions et appels, saturant l’espace éditorial, les universalistes étant « supposés complices et véhicules du patriarcat et/ou de l’oppression coloniale et néocoloniale ». Elle évoque la manière dont des courants réactionnaires religieux, intégristes musulmans notamment, et d’autres tendances, indigénistes, racialistes et différentialistes, se rejoignent pour flétrir les idéaux des Lumières. En pointant la manière dont la gauche occidentale procède à une « consternante autoliquidation », la philosophe se désole de voir des intellectuels et des militants de gauche « reprendre à leur compte les revendications, voire la vision du monde, propres à des projets théologico-politiques porteurs des pires régressions collectives ». Elle remarque aussi que « les errements anti-Lumières à gauche ont pour conséquence de reléguer les véritables combats émancipateurs à l’arrière-plan, d’alimenter des guerres fratricides et d’isoler la gauche progressiste et universaliste non occidentale, au mieux en l’abandonnant à son triste sort, au pire en légitimant ses bourreaux ». Assurément, cet ouvrage s’impose pour mieux comprendre ces enjeux et lever la confusion qui entoure souvent ces débats. (phf)