Espace de libertés | Février 2019 (n° 476)

Roman jeunesse sur les violences policières américaines envers la communauté noire, « The Hate U Give » a valu à son auteure Angie Thomas un succès foudroyant aux États-Unis. Un récit que l’on découvre maintenant aussi au cinéma grâce à une adaptation très forte.


On a lu et entendu leurs noms des dizaines de fois. On a été choqué, révolté, écœuré face à ces images inqualifiables. Michael Brown, Trayvon Martin, Eric Garner, Freddie Gray, Laquan McDonald… Chaque année, la liste s’allonge et nourrit le combat du mouvement Black Lives Matter. Mais qu’a-t-on retenu de ces victimes des violences policières aux États-Unis ? De leur vie, de la peine de leurs proches ? Pas grand-chose, certainement.

Heureusement, ils renaissent à travers les personnages de The Hate U Give, un roman sorti en français sous le titre La Haine qu’on donne au prin­temps der­nier. Suivi du film qui, sans jamais parler d’eux précisément, redonne une réalité à tous ces morts, ainsi qu’une place d’individus et plus seulement de victimes, avec leur passé, leur existence.

Le deuil, puis l’embrasement…

Starr est noire. L’adolescente de 16 ans, fan du Prince de Bel-Air et de baskets, habite dans un quartier défavorisé, marqué par la guerre des gangs, où, au restaurant, caissiers et clients sont séparés par une vitre pare-balles. À 12 ans, quand les familles blanches s’en tiennent à un topo sur les relations sexuelles, elle a droit à un speech paternel sur le comportement à adopter lors d’un contrôle de police : « Tu fais tout ce qu’ils te disent de faire. Garde tes mains en évidence. Ne fais pas de mouvement brusque. Ne parle que si on te pose une question. »

Un soir, alors qu’elle rentre d’une fête en voiture avec son ami d’enfance Khalil, noir lui aussi, un policier blanc les arrête, pour un phare cassé. Panique à bord. Starr a reçu le mode d’emploi, mais Khalil se tiendra-t-il bien sagement, les mains en évidence ? Le garçon s’agite. Moins docile que son amie, il finit au sol dans un bain de sang. Tout à coup, Starr bascule. Des hommes noirs tués par des policiers blancs, il y en a eu d’autres. Mais s’indigner de ces faits divers derrière son écran, à coup de hashtags qui n’engagent à rien, et voir son ami tomber sous ses yeux sont deux choses radicalement différentes. Il y a le choc et le deuil, évidemment. Starr le sait, cette histoire va la dépasser. Elle va devoir affronter l’embrasement du quartier, les messages de soutien sur les réseaux sociaux et, pire, la confrontation avec la police, dans un système où le blanc gagne toujours à la fin.

«L’industrie du livre est raciste ! »

« Je tenais à écrire du point de vue d’une fille noire parce qu’on se focalise très souvent sur les garçons noirs », explique l’auteure du livre original, Angie Thomas, elle-même afro-américaine. « Mais les filles noires sont, elles aussi, victimes de violences policières, c’est juste que ça ne fait pas la Une. Beaucoup de jeunes, en particulier de jeunes Noirs, me remercient pour ce récit. Parce qu’il est un miroir d’eux-mêmes. Beaucoup m’ont aussi confié que c’était le premier livre qu’ils lisaient, c’est génial », se félicite celle qui ne manque pas de souligner, lors des interviews, que les enfants ont plus de chances de trouver des livres dont le personnage principal est un camion ou un animal, qu’un enfant noir.

« Depuis des décennies, l’industrie du livre affirme que les livres avec des personnages noirs ne se vendent pas et que les enfants noirs ne lisent pas. C’est un système raciste, tout simplement », regrette l’écrivaine. Qui, sans surprise tant on ressort chamboulé du film de The Hate U Give, a su séduire au-delà des jeunes Afro-Américains : « Beaucoup d’adultes m’ont dit que ça leur avait ouvert les yeux et fait changer de point de vue. J’ai même rencontré des adultes dont les parents sont suprémacistes. Ça les a aidés à voir les Noirs d’une tout autre façon, et c’est incroyable pour moi. Le cinéma étant, de nature, plus grand public, j’espère que The Hate U Give va ratisser encore plus large. Parce que les films pour la jeunesse doivent aussi servir la cause. »