Lorsque la vie d’un.e jeune « déraille », le passage en IPPJ fait souvent partie d’un parcours écrit d’avance. Au sein des murs de l’institution, les conseillers laïques tentent de retisser les liens distendus, de semer des graines, afin d’éveiller ici une passion, là un nouveau projet de vie. Un travail axé sur l’humain, essentiel pour aider les jeunes à se reconstruire et rebondir. Reportage au sein de l’IPPJ de Fraipont.
Ce n’est pas le genre d’enseigne annoncée sur de grands panneaux ostentatoires. Celle de l’IPPJ de Fraipont n’échappe pas à la règle. Impossible de soupçonner la présence de cette institution publique de protection de la jeunesse en déambulant dans les rues paisibles du village situé à l’orée des Ardennes. Et pour cause : l’IPPJ s’est nichée au sommet de la colline adjacente, au cœur d’un massif forestier. Ouverte en 1972, cette dernière accueille une septantaine d’adolescents, âgés de 12 à 18 ans, répartis dans deux sections : celle d’accueil et celle du centre fermé. Son projet pédagogique est axé sur un système d’enseignement par ateliers techniques, qui coexistent avec des cours généraux. Giuseppe, le conseiller laïque qui y travaille quotidiennement, nous en ouvre les grilles. Des cours de morale à l’assistance individuelle, aux projets collectifs spécifiques, il vit quotidiennement aux côtés de ces ados, dont les parcours ont un jour dérapé.
Une mission subtile
Le rôle d’une IPPJ ? Accueillir les jeunes ayant commis un fait qualifié d’infraction, suite à une décision du Tribunal de la jeunesse. Son action pédagogique étant double, puisqu’elle vise d’une part la réinsertion sociale et favorise d’autre part une démarche restauratrice envers la victime et la société. L’axe éducatif a forcément pour but une amélioration du comportement du jeune, tout en lui prodiguant des outils pour restaurer son image. Car si personne n’oublie que des faits, quelquefois extrêmement graves, ont été commis et que le sort des victimes ne doit pas être oublié, ignorer les rouages qui ont mené les jeunes jusque-là serait une erreur. Ce n’est que dans le lien, l’empathie, le travail humain que l’on peut espérer induire un changement dans ces trajectoires difficiles. « Beaucoup de jeunes sont abîmés, ils ont une image réductrice d’eux-mêmes, biaisée par les adultes et la justice, et les activités auxquelles ils participent permettent de rectifier un peu l’image unique de délinquants qu’on leur renvoie. Ils peuvent par exemple montrer qu’ils ont la capacité d’aider les autres », explique Françoise, conseillère laïque à l’IPPJ de Wauthier-Braine.
Tant les conseillers confessionnels (majoritairement musulmans et chrétiens), que les laïques, viennent en appui aux autres intervenants professionnels, au cœur de l’IPPJ : psychologues, éducateurs, assistants sociaux, personnel administratif et de direction. Leurs actions sont de facto plus facilement acceptées par les jeunes puisqu’ils sont tenus au secret professionnel. « Il faut sortir de la carte moralisatrice. Nous sommes des semeurs de graines et nous espérons qu’un jour, l’une d’entre elles va éclore. Nous essayons de passer à un autre discours que celui de “tu n’es qu’un délinquant”, explique Nicolas, conseiller laïque de l’IPPJ de Braine-le-Château. Ils ont certes commis un acte répréhensible, mais il faut qu’ils se rendent compte qu’ils ont aussi d’autres facettes de leur personnalité et qu’ils peuvent exprimer autre chose (intellectuellement, artistiquement par exemple). Le secret professionnel est donc important dans ce contexte. » Et Françoise de renchérir, « d’ailleurs, certains disent aux nouveaux : ici, on peut tout dire, ils ne font pas de rapport. Nous ne sommes pas des balances, du coup, ça permet ce travail en confiance. Ici, c’est un peu le miroir de notre société. Les jeunes sont souvent portés sur l’argent. C’est le règne du zapping et donc ils éprouvent des difficultés à se concentrer. Ils sont à la recherche d’un peu de bien-être. » Même son de cloche de la part de Giuseppe : « Parfois, certains pensent même qu’ils seraient mieux en prison, avec une PlayStation et d’autres choses de ce style. Ils s’adaptent. Ils peuvent rester toute une journée dans leur chambre, ce qui semble inimaginable pour la plupart des autres jeunes ». D’autant que la plupart d’entre eux ont des proches qui sont passés par la case prison. Celle-ci est donc banalisée et la crainte du gendarme ne fonctionne plus. Le taux de récidive est d’ailleurs d’une trentaine de pour cent, notamment lorsqu’ils renouent avec les milieux néfastes qui les entouraient. Il suffit de peu pour qu’ils replongent…
L’effet miroir
Bien-être, réajustement de comportement, interpellation socio-psychologique : toutes ces dimensions de reconstruction des personnalités en devenir de ces jeunes sont parfois confrontées aux difficultés vécues par d’autres personnes dans la société. Ainsi, même si les activités sportives ne sont pas boudées par les conseillers laïques, ils essayent d’y ajouter une autre dimension, en les pratiquant par exemple avec des personnes handicapées. « Dans les projets que nous mettons en place, nous essayons aussi de leur montrer ce qui se passe en dehors de l’IPPJ et dans le monde, toujours dans l’optique de les amener à aller au-delà de l’image de la délinquance. Cela peut passer par l’objectif d’obtenir leurs diplômes ou des brevets, comme celui des premiers secours. Nous souhaitons sortir de l’occupationnel », explique Nicolas. Ce retissage de liens passe également par la culture. Ainsi, Didier, le conseiller laïque de l’IPPJ de Saint-Servais – la seule qui accueille des filles – les emmène voir les expos aux thématiques humainement fortes des Territoires de la mémoire, à Liège. Mais l’un des projets sociaux qui les touchent le plus est celui de l’Opération Thermos, organisée pour des SDF. « Nous préparons des denrées et leur apportons dans une salle à Liège, où nous les servons et discutons avec eux. Certains jeunes sont choqués de ce qu’ils voient, mais d’autres connaissent malheureusement bien cette réalité, car ils sont eux-mêmes passés par là », explique Giuseppe. « En préparant les repas, cela leur permet aussi de voir les problèmes de gaspillage qui sont inhérents aux IPPJ, car tout ce qui a été préparé et non consommé est à jeter. Ils n’ont pas tous toujours eu assez à manger sur leur table lorsqu’ils vivaient chez eux, ils ont souvent grandi dans la précarité, cela les fait donc réagir », ajoute Anne, de l’IPPJ de Wauthiez-Braine.
Retrouver un sens à la vie
Amandine, de Saint-Hubert, explique que ce qui l’a frappée, c’est la dimension collective qui ressort de cette activité. « Avec ce type de projet, on a un objectif à atteindre et tout le monde est sur le même pied pour y arriver – éducateurs, conseillers, jeunes –, cela crée du lien et favorise un sentiment d’équipe. » Recréer du lien : répétons-le, tel est bien, au final, le but recherché par ces conseillers laïques, conscients que pour beaucoup de ces jeunes, les comportements répréhensibles sont souvent le résultat d’identités abîmées dès la petite enfance, de manque de respect, de considération, de projet de vie. « Ce sont des jeunes explosés psychologiquement, en perte de repères, confirme Nicolas de l’IPPJ de Braine-le-Château. Ils n’ont rien à quoi se rattacher et se demandent ce qui se passera après leur sortie. Il n’y a pas de portes ouvertes pour eux, ni socialement ni au niveau du boulot. Alors, ils se disent que quitte à en chier avec ce système, autant avoir de l’argent pour s’offrir une belle vie. »
Si finalement, la réinsertion dans la société, dans la famille, constitue le but ultime de leur passage en IPPJ, cette belle ambition n’est guère aisée à atteindre. Les projets de réinsertions ne venant que trop tardivement au cours de leur séjour, souvent juste avant leur sortie. Dès lors, beaucoup de jeunes sont toujours perdus. « Ce n’est qu’à la fin de leur peine qu’on leur demande de produire un projet portant sur leur vie lorsqu’ils sortiront. Quand les placements deviennent trop longs, c’est problématique », confirme la conseillère laïque de Wauthier-Braine. D’autres estiment qu’ils sont trop infantilisés, voire que le passage en IPPJ produit finalement des consommateurs, alors qu’il faudrait surtout leur redonner de l’espoir, des perspectives d’avenir. Le décrochage scolaire faisant bien entendu partie des écueils rencontrés. « On peut se demander comment cela se fait que certains jeunes soient déscolarisés depuis deux, trois ans, alors que l’école est obligatoire ! Ce n’est pas normal. Certains sont arrivés à un tel point qu’ils ne savent plus comment se tenir à table, comment se présenter… Il faut alors tout leur réapprendre. Il faut du concret avec eux », conclut Didier.