Davantage qu’une biographie de Pierre Mertens – projet par ailleurs audacieux vu qu’il s’agit d’un auteur vivant –, cet ouvrage de près 500 pages nous renvoie à 50 ans d’histoire, personnelle, relationnelle, politique, judiciaire et surtout, bien entendu, littéraire. Par ailleurs lui-même chroniqueur de haut vol, Pierre Mertens a joué le jeu : celui d’un « sujet » de recherches qui ont duré sept ans. Le résultat est ébouriffant, à l’image de l’écrivain. Rebondissements politiques, amitiés littéraires, ruptures sentimentales : le cours du récit suit l’imaginaire flamboyant de Mertens qui, sans le gruger, entraîne l’auteur sur des chemins qui traversent l’histoire de la pensée et de la Belgique. Juriste, observateur judiciaire des conflits et drames dès le début des années 1960, Pierre Mertens surgit au long des pages comme un écrivain terriblement engagé, une espèce plutôt rare dans nos contrées. Enfant de la guerre, nourri à l’inépuisable référence de Franz Kafka, les pas de Mertens nous confrontent aux impasses de notre curieux pays. « Ce pays qui ne s’aime plus », comme il l’a croqué en 2007 dans le titre d’un de ses célèbres articles publié dans Le Monde. Il sous-titrait, lucide : « La Belgique est menacée d’une crise mortelle. Mais il est encore temps de renoncer à l’intolérance. » Cette pensée audacieuse, provocatrice s’est frottée à des personnalités aussi diverses que la princesse de Réthy, sur les traces de la question devenue Une paix royale, qui lui valut un procès avec le Palais/het Paleis ; ou par Berlin interposé, dans le sillage de Gottfried Benn, dont il tire Les Éblouissements couronné par le prix Médicis. Pourfendeur des dérives de la pensée, bien avant que leurs effets ne se fassent sentir, il taxe le patron de la N-VA de « leader résolument négationniste ». De Wever l’assigne en justice, mais le procès n’aura pas lieu. Pierre Mertens n’a pas froid aux yeux, qu’il a si bleus. Des yeux d’enfant rieur qui ont croisé tant d’autres regards pénétrants : Michel Leiris, Roger Lallemand, Robbe-Grillet, Régis Debray, Milan Kundera… L’incroyable biographie de Jean-Pierre Orban nous offre de les rencontrer à notre tour, avec une absolue maîtrise du genre. Le foisonnement était tel qu’un site complète l’ouvrage avec des références et détails additionnels trop volumineux pour l’édition papier sous le titre Pierre Mertens et le ruban de Moëbius ; ce fameux ruban à une seule face qui orne le séminaire de Lacan sur L’Angoisse, sans laquelle pas de littérature. (sl)
Des idées et des mots