Espace de libertés | Février 2019 (n° 476)

Accueillir l’enfant d’un.e autre


Dossier

Cherche familles désespérément : tel pourrait être le slogan pour inciter des familles à accueillir les « enfants du juges ». Lorsqu’ils ne peuvent trouver refuge au sein de leur cercle familial, des familles externes peuvent être sélectionnées pour les accompagner, les aider à s’épanouir. Mais les candidat.e.s ne se bousculent pas.


Près de 3 500 jeunes sont confiés chaque année à une famille d’accueil en Fédération Wallonie-Bruxelles : trois quarts dans leur famille élargie – grands-parents, oncle, tante – et un quart dans une famille d’accueil « externe ». Mais les candidat.e.s manquent. « Il est vrai que nous manquons de familles prêtes à s’engager. Tout d’abord parce que cette démarche est encore insuffisamment connue, mais aussi parce qu’elle nécessite un engagement personnel et citoyen fort, parfois difficile, notamment lorsque les accueillant.e.s s’attachent à l’enfant », reconnaît le ministre de l’Aide à la jeunesse, Rachid Madrane (PS) qui a fait du recrutement de familles d’accueil une priorité de cette législature, avec une vaste campagne de promotion lancée en 2015 et qui revient en ce début d’année sur les télévisions locales pour faire connaître davantage ce dispositif au grand public.

« Le message doit être martelé au quotidien. À force d’en parler, on arrive à sensibiliser le public à cette problématique, avec des candidats plus nombreux à sauter le pas », estime Michael Rossi, directeur du service laïque de placement familial La famille d’accueil Odile Henri, qui s’occupe de 366 jeunes et accompagne 230 familles d’accueil en Wallonie et à Bruxelles. « La recherche de familles reste indispensable et tous les candidats sont les bienvenus pour s’occuper des enfants : couples ou célibataires, avec ou sans enfant, homo ou hétéro… », renchérit Catherine Vanbelle du service Accueil et familles à Bruxelles.

Ouvrir son foyer… et son esprit

Cet appel aux candidats commence d’ailleurs à porter ses fruits ces dernières années : alors qu’en 2014, on comptait autour de 50 nouvelles familles d’accueil sélectionnées, elles étaient 79 en 2016 à être arrivées au bout du processus de sélection et à avoir pu accueillir un enfant. En 2017, ce sont 105 nouvelles familles qui ont été sélectionnées, donc plus du double. « Les tendances pour 2018 vont dans le même sens puisque pour les six premiers mois de l’année, on comptait pas moins de 35 nouvelles familles sélectionnées et plus de 140 candidatures à l’étude », indique le ministre Rachid Madrane.

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Quant à la sélection des futures familles, le processus dure entre quatre et six mois, à travers des rencontres régulières avec les équipes des services de placement. Objectif : connaître l’histoire des candidats, leur vie personnelle, professionnelle, mais aussi analyser la dynamique familiale qui accueillera l’enfant. Une fois la famille sélectionnée, il s’agit de trouver un jeune qui correspond le mieux possible à celle-ci. « C’est la raison pour laquelle on peut penser qu’on sera toujours à la recherche de familles d’accueil. En effet, notre souhait est de faire calquer au mieux le projet, tant du jeune que de la famille candidate », ajoute Michael Rossi. Les services de placement insistent fortement sur la tolérance des candidats à l’égard des parents de l’enfant. « La famille d’accueil ne remplace pas les parents. Ceux-ci continuent de jouer un rôle dans le processus de l’accueil familial. Il faut vraiment qu’on ait des candidats ouverts et non jugeants. Ce serait difficile pour un enfant de se retrouver avec une famille d’accueil qui discrédite ses parents, même s’ils ont commis des erreurs. Il faut une ouverture d’esprit assez large », continue le directeur du service de placement Odile Henri.

250 enfants sans famille

Autre nécessité pour les candidats : celle d’être disponible le temps du placement pour ces enfants qui ont besoin de suivi et de soins. « Être famille d’accueil est une démarche très altruiste. Il s’agit de donner de son temps pour aider un enfant à aller mieux et à retrouver ses parents », résume Catherine Vanbelle. « Mais lier vies professionnelle et privée avec l’accueil n’est pas simple. La vie des familles est de plus en plus difficile et c’est un frein pour rentrer dans ce type de démarche : tout le monde court, la plupart des parents travaillent, et il y a aussi parfois des difficultés de logement, notamment à Bruxelles », ajoute la directrice d’Accueil et familles.

À l’heure actuelle, il n’est pas facile d’évaluer le nombre de familles d’accueil manquant. « Sur la base des informations transmises par les autorités mandantes à l’administration, ce chiffre se situe aux alentours de 250. Tout comme le nombre de placements en familles d’accueil, ces chiffres sont assez constants d’année en année », relève le ministre de l’Aide à la jeunesse, Rachid Madrane. « Être famille d’accueil est une mission exigeante, ce n’est pas toujours un long fleuve tranquille, on ne va pas se mentir », reconnaît-il. « Mais c’est surtout un geste de solidarité fort envers un enfant en difficulté, envers une famille qui est dans une période difficile où elle a besoin d’aide. Accueillir un enfant en difficulté, c’est l’aider à grandir, à se construire. C’est offrir un cadre familial stable et sécurisant à des enfants dont les parents ne peuvent assurer l’éducation au quotidien. C’est remplir une mission pour une durée incertaine : on ne sait pas pour combien de temps on s’engage. En effet, le placement n’est pas destiné à durer, même si parfois, il est nécessaire que l’enfant reste éloigné de ses parents pendant une longue période », continue le ministre.

Pour les principaux concernés, l’accueil a été une expérience qui a bouleversé leur vie. Christine, célibataire, s’est occupée d’une petite fille de quatre ans. Elle participe à la campagne de promotion pour faire connaître le dispositif au grand public. « Avec le recul, je me suis dit que j’aurais dû le faire dix ans plus tôt », témoigne-t-elle. Avec la petite fille qu’elle a accueillie, il a fallu du temps pour qu’elles s’apprivoisent. « Dès le départ, je ne me suis pas imposée, mais je l’ai laissée venir à moi. Elle venait quand elle était triste, quand elle en avait besoin ou était fatiguée, par exemple. Dans ces moments-là, j’en profitais pour lui faire des câlins, lui dire que j’étais contente qu’elle habite ici », raconte Christine. « Et la première fois où elle m’a fait un bisou, ce fut le plus beau moment. Là, je me suis dit qu’il y avait une étape de franchie. » Nicolas, père de famille, s’est lancé lui aussi dans l’aventure de l’accueil avec son épouse Cathy. « On s’est dit qu’il y avait une vraie nécessité : il y a des enfants en demande, des familles en souffrance », explique-t-il. « L’enfant qui arrive chez nous est considéré comme un membre de la famille à part entière, même si on garde une distance. Il n’y a pas de papa-maman entre nous. Mais la mission pour ces enfants comme pour les nôtres est d’en faire des adultes responsables. Il y a des victoires, des reculs aussi. C’est normal… Mais le jour où on les voit quitter la maison pour retourner dans leur famille, ils sont plus sereins, et cela fait plaisir. »