Espace de libertés – Janvier 2017

Libres ensemble
Comme l’a écrit Alexis de Tocqueville, « le meilleur moyen d’apprendre aux hommes à violer les droits individuels des vivants est de ne tenir aucun compte de la volonté des morts ».

Comme notre société, la façon d’organiser des funérailles évolue avec le temps. Ainsi, dans nos contrées, selon les statistiques de Statbel (1), plus de 15.000 crémations se sont déroulées en 2015. Elles étaient encore moins de 4.000 en 1990 et à peine plus de 8.000 en 2002. Une tendance lourde qui inquiète sérieusement le Vatican. En effet, pour celui-ci, le recours à la crémation est de nature à impliquer la diffusion « de nouvelles idées en contradiction avec la foi de l’Église ». Fichtre!

Les incinérations, un enjeu pour l’Église catholique

L’instruction publiée le 25 octobre 2016 par la Congrégation pour la doctrine de la foi sur la sépulture des défunts et la conservation des cendres en cas d’incinération donne le ton. L’Église catholique y réaffirme qu’elle ne peut pas tolérer « des attitudes et des rites impliquant des conceptions erronées de la mort, considérée soit comme l’anéantissement définitif de la personne, soit comme un moment de sa fusion avec la mère Nature ou avec l’univers, soit comme une étape dans le processus de réincarnation, ou encore comme la libération définitive de la “prison” du corps ». Dès lors, pour Rome, « l’inhumation est la forme la plus idoine pour exprimer la foi et l’espérance dans la résurrection ». Dans cette acception, le corps fait « partie intégrante de la personne, dont (il) partage l’histoire ». De surcroît, toujours selon cette Instruction, « les cendres du défunt doivent être conservées normalement dans un lieu sacré, à savoir le cimetière ou, le cas échéant, une église ou un espace spécialement dédié à cet effet par l’autorité ecclésiastique compétente ». Ainsi, parce qu’elle implique un lieu fixe déterminé, l’inhumation répondrait « de manière adéquate à la piété ainsi qu’au respect dû aux corps des fi dèles défunts » et favoriserait « le souvenir ainsi que la prière ».

Quand le spirituel joue au temporel…

Comme au Moyen Âge, Rome se perçoit-elle à nouveau en position de régenter la vie de chacun à ce point?

Mais pour qui diable se prend la Congrégation pour la doctrine de la foi? La question mérite d’être posée lorsque l’on découvre avec stupeur dans l’Instruction précitée que l’Église se targue d’avoir l’ambition d’ « établir des normes [nous soulignons] portant sur la conservation des cendres en cas d’incinération »! Comme au Moyen Âge, Rome se perçoit-elle à nouveau en position de régenter la vie de chacun à ce point? Il est vrai que, bon prince, elle consent quand même, du bout des lèvres, à autoriser l’incinération (2) mais seulement à la condition expresse « qu’elle n’ait été choisie pour des raisons contraires à la doctrine chrétienne ». Même dans ce cas, les ayants droit d’un défunt incinéré ne doivent pas crier victoire trop vite car « la conservation des cendres dans l’habitation domestique n’est pas autorisée ». Même mort, pas question, donc, de décider librement de son sort. Non car, selon l’Église catholique, « pour éviter tout malentendu de type panthéiste, naturaliste ou nihiliste, la dispersion des cendres dans l’air, sur terre, dans l’eau ou de tout autre manière, n’est pas permise ».

Pour couronner le tout, Rome précise encore que, pour celui qui sortirait des clous en demandant « l’incinération et la dispersion de ses cendres dans la nature pour des raisons contraires à la foi chrétienne, on doit lui refuser les obsèques, conformément aux dispositions du droit ». Bigre, la charité chrétienne serait-elle à géométrie variable?

En tout cas, aujourd’hui comme hier, le Vatican estime qu’il lui revient d’édicter les comportements et les normes en fonction de sa vision unilatérale de la société. Et on comprend mieux pourquoi bon nombre de membres de la commission de révision de la Constitution de la Chambre envisagent de modifier son article 21 pour rappeler que nul ne peut se soustraire, pour des raisons d’ordre religieux, aux règles de droit en vigueur ni limiter les droits et libertés d’autrui (3)…

« La dignité de nos défunts n’a pas de date de péremption (4) »: la Région wallonne en action

Après s’être fait mondialement connaître sur le CETA, la Wallonie continue à tracer son chemin en faisant fi de certaines influences internationales. Le 15 novembre dernier, sans se soucier d’un quelconque diktat romain, le Parlement de la Région wallonne a adopté un décret visant à améliorer le régime juridique de conservation des cendres à domicile. Un décret déposé à l’initiative de plusieurs députés – mesdames Salvi (CDH), Trotta (PS), messieurs Knaepen (MR), Arens (CDH), Dupont (PS) et Mouyard (MR) – de la majorité comme de l’opposition qui partent du constat que « la population n’est pas encore au fait des différentes possibilités offertes légalement, notamment en ce qui concerne la mise à terme de la conservation des cendres à domicile ».

Le décret clarifie différents concepts et procédures en la matière mais, surtout, indique bien que, pour ceux (ou leurs ayants-droit) qui ont conservé chez eux une urne funéraire, il est possible de lui donner une autre affectation sans autre condition que celle de dire au « gestionnaire public quelle sera la destination finale des cendres […] dans le respect des dernières volontés du défunt, si ce dernier en a manifestées, et des prescrits (du décret) ».

Comme le soulignait le député Philippe Knaepen dans son intervention au Parlement wallon, « on dit souvent que la valeur d’une société est déterminée par la manière dont elle traite ses aînés. […] Que dire alors de la manière dont elle traite ses morts? »

À des années-lumière des rigides instructions de la Congrégation pour la doctrine de la foi de l’Église catholique, l’action de nos députés wallons, exprimée ici de façon pluraliste, témoigne de cette volonté d’offrir une solution digne pour les défunts dont les descendants, éloignés ou non, ne souhaitent plus conserver les cendres à domicile. Allez, malgré tout, on avance.

 


(1) Statbel, « Évolution du nombre de crémations en Wallonie (1990-2013) », Bruxelles, 2015.

(2) « Elle ne contient donc pas, en soi, la négation objective de la doctrine chrétienne sur l’immortalité de l’âme et la résurrection des corps. »

(3) Ce qui, à nos yeux, est une évidence mais dont, visiblement, il est important de réaffirmer le principe.

(4) Intervention du député Philippe Knaepen au parlement de la Région wallonne, 15 novembre 2016.