Espace de libertés – Janvier 2017

Révolutionner le Code pénal


Dossier

Entretien avec Laurent Kennes

Suppression des juges d’instruction, fin de la constitution de partie civile, mort de la Cour d’assise: toutes ces idées, qui bousculent les habitudes des pénalistes, sont en en bonne partie reprises par Koen Geens, ministre de la Justice. Elles sont tirées d’une note rédigée par quarte experts, dont Laurent Kennes, avocat au barreau de Bruxelles.

Espace de Libertés: Vous proposez une refonte radicale du Code de procédure pénale. Pourquoi?

Laurent Kennes: C’est un code très ancien, plus que bicentenaire. Le contexte était alors très différent. Il y avait moins d’infractions, et puis la justice n’a plus la même façon de fonctionner. On ne mène plus une enquête comme à l’époque. Les témoignages, par exemple, n’ont plus le même poids. Bien sûr, il y a eu des réformes du Code de procédure pénale. Celui-ci a été « rapiécé » au fil du temps, ce qui le rend peu lisible. Il y a 200 ans, la grande majorité de crimes (en ce compris les vols, escroqueries, faits de mœurs…) était traitée par un juge d’instruction. Aujourd’hui, dans 95 % des cas, les dossiers ne sont pas traités par un juge d’instruction mais par un procureur, donc par le ministère public dans le cadre d’une information judiciaire. Ces dossiers trouvent la plupart du temps une issue autre que l’instruction, comme le classement sans suite, la transaction ou la médiation.

Vous dénoncez l’inégalité de traitement pour les justiciables en fonction du statut du dossier. À « l’instruction » ou à « l’information »…

On se demande pourquoi les droits des justiciables sont moindres lorsque le dossier est à l’information. Dans ce cas, le suspect comme la personne lésée sont mis de côté. Ils peuvent par exemple demander accès à leur dossier au parquet, mais sans possibilité de recours si on le leur refuse. Alors que dans l’instruction, la demande d’accès au dossier est un droit avec une possibilité d’appel en cas de refus. Rien ne justifie cette différence de traitement. Il serait plus logique d’avoir un système global qui soit le même pour toutes les parties, plutôt que deux systèmes parallèles.

Dans ce système global, vous proposez de supprimer le juge d’instruction, qui est pourtant considéré comme la figure même de l’indépendance.

Notre idée est de supprimer la phase d’instruction afin de mettre en place une procédure d’enquête unique, conduite par le parquet. L’enquête devrait être menée à charge et à décharge. Si l’instruction disparaît, le juge aussi. Mais il serait remplacé par un juge de l’enquête, dont le rôle serait de contrôler l’équilibre de l’investigation, sa célérité. Le but est de garantir l’indépendance dans la manière de mener les enquêtes. Quant aux éventuelles pressions politiques sur le parquet, dans le cadre d’affaires politico-financières, il faut constater que les médias sont bien plus vigilants à ce sujet qu’il y a deux siècles.

Une de vos idées fortes est d’en finir avec la « constitution de partie civile par voie d’action ». Cette idée ne doit pas faire l’unanimité…

Aujourd’hui, les victimes ont un pouvoir important. Celui d’initier une affaire pénale, de mettre en mouvement l’action publique en se constituant partie civile, alors même que le ministère public avait décidé de ne pas poursuivre. Il est nécessaire de mettre un terme à cette possibilité. Dans certains cas, les victimes pourraient se saisir du juge de l’enquête face à un substitut qui ne ferait pas grand-chose ou lorsque sa décision de ne pas poursuivre les mécontente. Et bien sûr, les victimes conservent le pouvoir de s’adresser aux juridictions civiles. Mais la possibilité de déclencher une action pénale en se constituant partie civile est un trop grand pouvoir. De nombreux dossiers viennent aujourd’hui polluer les cabinets des juges d’instruction. Une telle réforme redonne à l’État le monopole des poursuites pénales et permet au parquet d’appliquer les directives de politique criminelle. Donc de mettre en oeuvre des priorités.

Au menu de votre proposition de réforme, on trouve la suppression de la cour d’assises. Pourtant, cette dernière a repris des couleurs aux yeux d’une partie de l’opinion publique, suite à l’acquittement de Bernard Wesphaël.

Bernard Wesphaël a été acquitté. Et alors? Je ne vois pas en quoi cette affaire a été mieux jugée que si elle l’avait été devant des juges professionnels. On n’a pas vanté les mérites du jury populaire, mais de l’oralité des débats. Je pense que c’est surtout l’oralité des débats qui est très importante. Mais pourquoi n’existerait-elle pas devant des juges professionnels? Nous proposons de remplacer la cour d’assises qui, aujourd’hui est en grande partie vidée de ses compétences (depuis la loi pot-pourri II), par des chambres criminelles à trois juges avec audition d’experts et de témoins. On sait que les jurés sont souvent en difficulté face à des questions techniques, ils sont souvent dans l’impossibilité d’étudier tout le dossier, leur décision est exposée sous la forme d’une motivation peu étayée. Je pense que la démocratie s’incarne davantage par la qualité des décisions de justice au quotidien que par la présence de représentants du peuple dans un jury populaire.

Une de vos propositions fait grincer les dents de magistrats. Pour limiter le recours à la détention préventive vous imaginez un système de quotas…

On déterminerait un nombre maximum de personnes détenues préventivement par arrondissement. C’est une mesure assez radicale. On déplore depuis des années le taux extrêmement important (environ 40 %) de détenus en préventive, on regrette le problème de surpopulation carcérale. Mais dans la réalité, leur nombre ne baisse pas. La loi est assez claire aujourd’hui: la détention préventive est encadrée par des critères très justes. Cette privation de liberté ne devrait être décidée que lorsqu’elle est absolument nécessaire, et pourtant cela ne change pas dans la pratique. Avec un quota, il n’y a pas le choix, la pratique doit suivre. Cette idée a été appliquée de manière provisoire aux Pays-Bas. En deux ans, les mentalités ont changé à tel point qu’il y a trop de places dans les prisons et la mesure de quota a été supprimée.

Il semblerait que votre idée d’un nouveau Code de procédure pénale ait convaincu le ministre Koen Geens…

Celui-ci nous a demandé de rédiger, en toute indépendance, les lignes directrices d’une réforme du Code d’instruction criminelle. Nous avons fait une proposition en tant qu’experts et elle est en grande partie reprise par le ministre. Nous rédigeons actuellement un projet de code. Il appartiendra au pouvoir législatif de décider s’il veut un nouveau code modernisé ou rester avec l’actuel.