Le scrutin du 7 octobre dernier a conduit au renforcement du Parti justice et développement et du Parti authenticité et modernité (PAM), tous deux vainqueurs des élections communales et régionales de 2015. Autant dire que pour les cinq prochaines années, certes dans les limites imposées par le roi et le Makhzen (1), le PJD continuera à pénétrer l’appareil d’État. Ainsi, la thèse de « l’exception marocaine (2) » n’en sera que renforcée.
En 2011, quelques mois seulement après la révision constitutionnelle menée par Mohamed VI pour mater le Mouvement du 20 février et ainsi empêcher le « printemps arabe » de souffler sur le Maroc, le PJD, parti islamo-conservateur, remportait pour la première fois les législatives. Cinq ans après, on assiste à une double révolution pour le Maroc: pour la seconde fois consécutive, le PJD d’Abdellilah Benkirane est le héros des urnes avec 125 sièges sur 395, 18 de plus que sous la précédente législature. Il est suivi par son concurrent principal, le PAM, parti libéral, créé en 2008 par un proche du roi, qui passe de 47 à 102 députés. Derrière le PJD et le PAM, on trouve le parti d’Istiqlal, issu de l’indépendance, allié du PJD au cours de la mandature 2011-2016 qui remporte 46 places (contre 60), le Rassemblement national des indépendants (RNI) avec 37 sièges (contre 52), le Mouvement populaire avec 27 députés (contre 32), l’Union socialiste des forces populaires (USFP) avec 20 sièges (contre 39), l’Union constitutionnelle avec 19 élus (contre 23), le Parti du progrès et du socialisme (PPS) et la Fédération de la gauche démocratique, qui respectivement comptabilisent 12 (contre 18) et 2 sièges. Ces résultats ouvrent la porte à une dynamique bipartisane, cruelle pour les petits partis, et à une transformation profonde du paysage politique marocain puisqu’on se souvient que sous Hassan II, aucun parti, même proche du Palais, ne pouvait devenir un protagoniste principal du jeu politique. On est face à une polarisation des votes: les anciens partis sont délaissés à la faveur d’une opposition PJD/PAM à travers laquelle les électeurs perçoivent et comprennent la vie politique marocaine. Tout aussi remarquable, et loin de nier son succès électoral, est le fait que le chef du gouvernement, Benkirane, ait été reconduit pour un deuxième mandat.
N’en déplaise à beaucoup, le Maroc pratique, certes à sa façon, l’exercice de la démocratie.
Tout n’est pas gagné pour le PJD
La victoire du PJD est relative et sera mise à rude épreuve par le PAM puisque ce dernier incarne désormais une alternative politique réelle. Autant dire que, tant pour le PJD que pour le PAM, il sera question de proposer une offre politique conséquente et claire pour renforcer et étendre leur base électorale. Il faudra donc au PJD beaucoup d’agilité politique pour former des alliances et user d’ingénierie politique pour gouverner avec consensus et compromis. En ce sens, c’est déjà mal parti puisque, plus de 45 jours après le scrutin, Benkirane peine à constituer sa majorité, au risque de titiller la patience de Sa Majesté. Notons que si le leader du PJD échoue à constituer sa majorité, il devra « rendre les clés » au roi, scénario qui n’est pas prévu par la Constitution marocaine.
Les femmes élues toujours en minorité
Sur les 395 élus, 81 sont des femmes (contre 67 dans la législature précédente): 71 d’entre elles ont été désignées par un système de quota et 10 ont été normalement élues dans des circonscriptions locales. Rappelons que suite aux élections communales et régionales de 2015, aucune femme n’a été élue à la tête des Conseils régionaux.
Certes, des avancées ont été réalisées en termes de participation politique des femmes. Mais trop souvent, elles restent minoritaires; la politique reste majoritairement une affaire d’hommes. Les associations de femmes le déplorent, surtout après les espoirs nés dans le sillage du processus de réforme constitutionnelle de 2011 (3) .Khadija Rebbah, coordinatrice nationale du Mouvement pour la démocratie paritaire (MDP) déclare que « la plupart des partis politiques continuent de présenter des femmes dans les circonscriptions où ils sont presque certains de ne pas gagner ». D’après la militante Asma Lamrabet, « la représentation politique des femmes reste le plus souvent, et malheureusement, le résultat d’un compromis idéologico-politique, soit celui d’une cynique instrumentalisation de “l’alibi” femmes par certains décideurs politiques afin d’afficher leur prétendue adhésion aux valeurs de la démocratie et de la modernité ». Dès lors, la question des femmes est « l’otage d’une triple discrimination: celle du néolibéralisme sauvage, du patriarcat culturel et de l’autoritarisme politique et religieux » (4).
Un parfum de consolidation démocratique?
N’en déplaise à beaucoup, le Maroc pratique, certes à sa façon, l’exercice de la démocratie. D’après la théorie de la consolidation démocratique, la « démocratie progresse quand les gouvernants changent ». Il reste que ce sont « les traditions autoritaires auxquelles les institutions démocratiques succèdent » qui vont façonner ce processus. Dans le cas du Maroc, pendant plus de trois décennies, les partis politiques étaient empêchés de renforcer leur assise électorale et de laisser leur empreinte dans les institutions politiques. En ce sens, le Maroc avance puisque, face au système monarchique et au Makhzen, on assiste à l’émergence de la figure du leadership partisan. Même si cela se traduit par le maintien au pouvoir d’un parti conservateur du point de vue des moeurs, c’est tout de même l’expression d’une « certaine démocratie nourrie par le peuple marocain ». Cela étant, ça n’empêche pas le Maroc de continuer a être critiqué et épinglé dans de nombreux rapports pour la corruption croissante, les politiques répressives et coercitives à l’égard des voix qui tentent de s’exprimer librement telles les associations de défense des droits de l’homme ou la presse indépendante, une justice sociale défaillante et un chômage galopant, la situation des femmes. La liste n’étant pas exhaustive, hélas!
(1) D’après Alain Claisse, le Makhzen désigne « l’État, ses agents, l’entourage du Roi et plus généralement le palais Royal ».
(2) Charles Saint-Pro et Frédéric Rouvillois (dir.), L’exception marocaine, Paris, Ellipses, 2013.
(3) L’article 19 de la Constitution marocaine consacre l’égalité hommes-femmes; le Maroc ratifie un certain nombre de conventions internationales pour la protection des droits des femmes.
(4) Asma Lamrabet, « Élections communales et régionales au Maroc: où sont les femmes? », mis en ligne en octobre 2015, sur www.asmalamrabet.com.