Une passoire sur la tête, des mariages célébrés par des pirates, une divinité en forme de spaghetti boulettes, le « prophète » Henderson n’a pas manqué d’humour quand il a conçu son « Église du Monstre en spaghettis volant ». Mais n’est-il question que de cela dans cette parodie de religion?
L’imagination ne manque pas au corpus pastafarien conçu il y a une dizaine d’années: le paradis est fait d’entreprises high-tech, de volcans à bière et d’une usine de strip-teaseuses/eurs; le vendredi est déclaré saint; les prières se clôturent par « Ramen », un plat de nouilles en japonais; l’origine de l’homme moderne est à chercher du côté des pirates; les huit tables de la loi (1) donnent des directives comportementales loufoques, etc.
Le pastafarisme et l’administration publique
Plusieurs pastafariens ont tenté, et parfois obtenu, de figurer coiffés d’une passoire à pâtes sur leur carte d’identité ou permis de conduire. Les États saisis de la demande y répondent diversement mais toujours avec étonnement. Et parfois ça marche, comme en Nouvelle-Zélande qui autorise désormais l’organisation de mariages pastafariens célébrés par des « ministres du culte » reconnus comme tels et revêtus pour l’occasion d’un costume de pirate.
Une Belgique pastafarienne
La Belgique est elle aussi saisie du phénomène au travers de mariages, de confection de cartes d’identité et de rassemblements. C’est ainsi qu’à Grez-Doiceau en Brabant wallon, un mariage civil a été célébré en avril 2016 tandis que les convives portaient une passoire sur la tête en signe de ralliement au pastafarisme. À Durbuy, un homme a demandé à porter une passoire sur la tête pour sa photo d’identité. Même demande formulée à Gand.
Les « revendications » pastafariennes se font désormais entendre jusqu’à la commission de l’Intérieur de la Chambre où la bourgmestre-députée grézienne Sybille de Coster-Bauchau (MR) demandait comment répondre à de telles demandes. Pour le ministre Jambon (N-VA), « il est tout à fait justifiable qu’une personne qui, pour motif religieux, porte habituellement un couvre-chef soit photographiée avec celui-ci, puisque c’est ainsi que la personne apparaît habituellement en public, comme les adeptes de la religion sikhe. Ce qui ne semble pas être le cas des adeptes du pastafarisme, motif pour lequel nous n’acceptons pas leur demande de porter une passoire sur leur photo d’identité. Une fois que la religion sera reconnue, on pourra peutêtre changer cette position » (2).
Cet énoncé de la politique officielle n’a pas découragé le Durbuysien qui a écrit au Centre pour l’égalité des chances (Unia) pour se plaindre d’une discrimination, ce qu’Unia n’aurait pas confirmé (3). Il envisagerait désormais une plainte auprès de la Commission européenne pour non-respect des droits de l’homme, voire auprès de l’ONU.
L’origine vraie d’une parodie
En 2005, Bobby Henderson, professeur de physique à l’Université d’État de l’Oregon, apprend que le comité gérant les programmes d’éducation de l’État du Kansas a approuvé l’organisation d’un cours consacré au « dessein intelligent » (Intelligent Design), au même titre que la théorie de l’évolution. Argument: « Les théories alternatives doivent être enseignées afin d’assurer à nos jeunes étudiants une largeur d’esprit optimale. » (4) La réaction du scientifique est immédiate: il crée l’Église du Monstre en spaghettis volant (Church of the Flying Spaghetti Monster) et exige que son enseignement soit également présenté aux étudiants puisque rencontrant les mêmes critères que ceux du « dessein intelligent ». Ainsi, si la forme fait sourire, le fond donne solidement à réfléchir. Car c’est en réaction à une décision éducative qu’est née l’Église du Monstre en spaghettis volant.
Le créationnisme dans les écoles L’incident pastafarien n’est pas isolé: fi n de l’année 2005, un jugement condamne en Pennsylvanie une école publique qui cherchait à imposer la « théorie du dessein intelligent » comme alternative scientifi que à la théorie de l’évolution de Darwin. En 2007, les écoles belges ont également été approchées par un mouvement créationniste turc, la Fondation pour la recherche et la science, au travers d’un ouvrage luxueux dénommé L’Atlas de la création: un ouvrage qui s’inscrivait dans le but global de faire disparaître de l’enseignement l’évolution darwinienne « et ses fléaux » (5).
Un enjeu politique et culturel
Dans un précédent article sur les mouvements religieux controversés et le créationnisme (6), nous répertorions chez eux les caractéristiques suivantes: radicalisme antisciences, négation du progrès scientifi que et de l’évolution humaine, conditionnement des enfants par leur exclusion (dans certains cas) de l’enseignement public, adhésion à des récits pseudomythiques censés rivaliser avec la science et l’évolution darwinienne. Nous attirions encore plus l’attention sur une volonté manifeste de replacer le religieux au centre des décisions politiques et sociétales. Le but de certains mouvements est clair: reconquérir par la croyance la société occidentale laïcisée. C’est un enjeu politique et culturel. Il s’agirait de substituer une nouvelle forme de théocratie à la démocratie des États occidentaux (7). C’est ce que le pastafarisme entend dénoncer. « Ramen »!
(1) Bobby Henderson, L’Évangile du Monstre en spaghettis volant, Paris, 2008, p. 93.
(2) Compte-rendu de la réunion publique du 20/04/2016, mis en ligne sur www.dekamer.be.
(3) Publication de la page de l’émission « C’est vous qui le dites » sur Facebook, mise en ligne le 11/03/2016, sur www.facebook.com.
(4) Bobby Henderson, L’Évangile du Monstre en spaghettis volant, Paris, Le Recherche Midi, 2008, p. 19.
(5) Harun Yahya International, accessible en ligne le 12/07/2009 sur www.harunyahya.be.
(6) Aline Goosens et Sandrine Mathen, « Mouvements religieux controversés et créationnisme », dans « Évolution et créationnismes », La Pensée et les Hommes, n° 75, 2010, pp. 130-131.
(7) Gisèle Van de Vyver, « Objectifs et stratégies du créationnisme dit “scientifique” », op. cit. , p. 108.