Espace de libertés – Janvier 2017

La vie pigmentée des Congolais


Arts
La peinture populaire congolaise contemporaine, ce sont des couleurs vives mais surtout des oeuvres bien différentes de l’art « traditionnel » que les Occidentaux se sont longtemps arraché pour décorer leur salon. Des images par et pour les Congolais qui provoquent le débat sur les préoccupations quotidiennes en RDC, au cœur des croyances, de la situation politico-économique et des problèmes sociaux.

« Matongé-Ixelles. Porte de Namur! Porte de l’amour? » Les Bruxellois.es connaissent bien la grande peinture sur toile de bâche qui surplombe la chaussée d’Ixelles, à l’entrée de Matongé, célèbre quartier essentiellement fréquenté par des Congolais à ses origines. Mais combien sont-ils à connaître Chéri Samba, l’artiste qui en est l’auteur? Et à savoir que ce type de représentation picturale foisonnante en RDC porte le nom de « peinture populaire »? Le Musée royal de l’Afrique centrale (MRAC) lui consacre actuellement une exposition, dernière « pop-up » hébergée à Bozar avant la réouverture du musée de Tervuren (1).

Des oeuvres qui parlent à tou.te.s

Comptant parmi les artistes contemporains africains les plus connus, le peintre autodidacte Chéri Samba pratique un art fi guratif et le définit en ces termes: « Pensant à “populaire”, je veux dire que c’est quelque chose qui vient du peuple et qui s’adresse au peuple, puisque celui-ci peut le comprendre. L’art que j’ai appelé populaire véhicule un message que chacun peut reconnaître et qui interpelle les consciences pour cela, sans nécessité d’un décodage. »

Comme le soulignent les commissaires de l’exposition, l’anthropologue Bambi Ceuppens et l’artiste protéiforme Sammy Baloji, « au même titre que la musique et la danse, la peinture populaire est profondément liée à la vie quotidienne. La République démocratique du Congo ne fait pas exception à la règle. L’univers de la peinture porte l’empreinte de la mémoire collective, comme l’illustre à merveille cette exposition présentant des tableaux réalisés entre 1968 et 2012. »

Ainsi « portraits, paysages et peintures allégoriques y côtoient des toiles d’inspiration urbaine et historique, suscitant une réflexion critique sur la religion, la politique et les problèmes sociaux, souvent teintée d’une légère touche humoristique », poursuivent les commissaires. Au cours de notre visite de l’exposition, nous voyons représentés la violence physique et symbolique de la colonisation, les héros culturels, fi gures politiques et martyrs de l’Indépendance – Lumumba en tête–, l’espoir de démocratie, le désespoir de la dictature et de la corruption, l’idéalisation de la vie rurale et le tumulte de la vie urbaine dans un style qui s’inspire de la peinture publicitaire et de la bande dessinée. Le rôle cathartique de ce genre bien particulier du 3e art est une évidence tant les sujets peuvent être durs.

Où sont les femmes?

Bien que le constat soit posé dans le cadre de l’exposition elle-même – ce qui rend leur absence d’autant plus flagrante aux yeux du visiteur à qui cela aurait échappé–, « Congo (Man) Art Works » ne montre l’œuvre d’aucune peintresse, pas la moindre. Et tente de se défendre de l’invisibilité des femmes par le fait qu’elles sont représentées dans les œuvres. Une question reste sans réponse : la peinture populaire congolaise serait-elle l’apanage des hommes ou l’absence de femmes artistes exposées ici résulte-t-elle uniquement de leur défection dans la collection dont elles sont issues?

« Congo Art Works » rassemble 82 peintures tirées de la collection Bogumil Jewsiewicki que le MRAC a acquise en 2013. Pour la petite histoire, Bogumil Jewsiewicki était un professeur de l’Université Laval (Canada) et spécialiste de l’art congolais au XXe siècle qui, avec ses collaborateurs congolais, a collecté pas moins de 2.000 oeuvres. Les toiles sélectionnées dans le cadre de cette exposition sont mises en résonnance avec un assortiment de pièces traditionnelles, ethnographiques et coloniales – objets, photos, dessins et documents d’archives – qui élargissent la perspective en établissant des liens avec des formes d’art plus anciennes. « Congo Art Works » permet donc de comprendre la continuité entre l’art traditionnel et la peinture populaire contemporaine ainsi que les relations complexes que les artistes congolais entretiennent avec leurs propres traditions.

 


(1) Plusieurs fois repoussée, la réouverture du MRAC est maintenant fixée au mois de juin 2018.