Alors que Fidel Castro vient de disparaître et que l’Amérique du Sud voit la droite revenir au pouvoir dans plusieurs pays, la journaliste italienne Geraldina Colotti revient sur les avancées – mais aussi les ratés – de la révolution bolivarienne au Venezuela.
Des taupes à Caracas n’est pas un roman de la série SAS mais bien un essai signé Geraldina Colotti, qui travaille pour Il Manifesto et est directrice de l’édition italienne du Monde diplomatique. Ce livre, sorti en 2013 en italien et que viennent de publier en français les éditions du Cerisier, donne la parole aux Vénézuéliens – ce que, insiste Geraldina Colotti, les médias occidentaux n’ont jamais fait. Par Vénézuéliens, il faut entendre les laissés-pour-compte de la Quatrième République à qui la révolution bolivarienne a redonné un peu de dignité: on parle ici des femmes, des enfants, des ouvriers, des cimarones (les Afros), des taulards, des Indiens… mais aussi des policiers qui, avant Chávez, avaient la gâchette facile et à qui le gouvernement bolivarien a donné des formations dans les misiones sociales, culturelles, politiques… Enfin, également aux jeunes des quartiers pauvres à qui on a donné des guitares en échange de leurs armes.
L’auteure ne s’en cache pas: elle est passée personnellement par la « case prison », condamnée à plusieurs années fermes pour avoir eu des sympathies un peu trop appuyées envers les Brigades rouges en Italie. À un étudiant à Caracas, elle dira qu’elle est journaliste « communiste » et « en faveur du proceso bolivarien ». Nous sommes ici, clairement, dans le domaine du journalisme engagé.
Geraldina Colotti veut démontrer que le Venezuela de Chávez n’était pas la dictature que présente volontiers l’opposition soutenue par les États-Unis.
Le père de la révolution bolivarienne dédiabolisé
En fait, Geraldina Colotti veut démontrer que le Venezuela de Chávez n’était pas la dictature que présente volontiers l’opposition soutenue par les États-Unis et monopolise la diffusion des informations à destination des grands médias américains et européens. En 2011 et 2012, elle effectue plusieurs séjours au Venezuela et en ramène d’innombrables témoignages. Tout d’abord, ceux de compagnons de route d’Hugo Chávez grâce auxquels elle évoque sa carrière marquée par deux tentatives de coups d’État, un passage en prison, une grâce présidentielle et, enfin, une victoire aux élections présidentielles de 1998. À son tour, Chávez connaîtra une tentative de coup d’État le 11 avril 2002, le golpe, fomenté par l’opposition avec l’appui de l’Occident – États-Unis et Espagne en tête, qui s’empressèrent de reconnaître le nouveau gouvernement.
L’auteure et ses interlocuteurs rappellent que durant ses années au pouvoir, jusqu’à son décès en mars 2013, le président a toujours préféré les urnes à la force, contrairement à ce que les opposants ont pu dire ou écrire. Nombre de ceux-ci ont, tout au long de ces années, occupé des postes de gouverneurs de province par exemple.
« La rente pétrolière n’a pas conduit à l’assistanat des masses »
Manifestement, la tentative de coup d’État de 2002 est l’événement décisif des années Chávez. Les indécis qui avaient voté pour lui en 1998 – notamment les femmes et les jeunes – adhérèrent alors à sa « révolution bolivarienne ». À l’opposé, ceux qui avaient tiré les ficelles de ce coup d’État manqué – dirigeants des entreprises pétrolières, grands propriétaires (latifundistes), agro-industriels – poursuivirent encore leur projet en 2003 en provoquant un lockout pétrolier. Les nationalisations, notamment de l’industrie pétrolière, permirent au gouvernement Chávez d’assurer les réformes agraires et en particulier la redistribution d’une partie des plus de 6 millions d’hectares de terres improductives saisies aux latifundistes.
Grâce à la rente pétrolière, Chávez put aussi mener ses réformes environnementales, sociales, scolaires (l’analphabétisme a disparu), médicales (l’échange « pétrole contre médecins » avec Cuba y est pour beaucoup) et économiques. Son charisme débordant largement des frontières du Venezuela et cet étrange mélange de nationalisme populaire et de marxisme saupoudré de théologie de la libération ont fait mouche dans de nombreux pays sudaméricains. Médiactivistes très marqués à gauche, membres du clergé plus mitigés et antichavistes clairement affichés, Colotti donne la parole à de nombreux acteurs, une parole souvent violente et sans concession: aucune pour « l’autre bord ». La journaliste montre que le Venezuela de Chávez est resté une démocratie – on est loin du Cuba de Fidel Castro – où l’opposition a toujours pu s’exprimer haut et fort et conserver des postes politiques et économiques importants.
Et depuis 2013…
Geraldina Colotti termine son livre en montrant aussi que les États-Unis ont changé leur fusil d’épaule à l’égard de cette Amérique latine qui leur échappait. Plus question, comme en 2002, de soutenir des coups d’État. L’administration Obama, tout en jouant la carte de la fermeté avec le Venezuela – les deux pays n’ont plus d’ambassade depuis 2010–, a choisi d’y aller plus subtilement, en soutenant des groupes de jeunes politisés mieux à même de retourner les opinions publiques. Depuis la disparition de Chávez en mars 2013, cette politique se développe un peu partout, principalement en Argentine et au Brésil mais aussi au Paraguay, pays qui ont vu des courants marqués à droite revenir au pouvoir.
L’actuel président Nicolas Maduro apparaît donc de plus en plus isolé, tant à l’intérieur du pays – l’opposition dominant le Parlement – qu’à l’extérieur. Le Venezuela vient par exemple d’être suspendu du Mercosur, le grand marché commun économique sud-américain, pour non-respect notamment de la libre circulation des marchandises et de la « clause démocratique ». L’effondrement du cours du brut sur les marchés internationaux n’a pas arrangé les choses: pénuries des aliments et médicaments, inflation vertigineuse, estimée à 475 % en 2016 par le FMI et qui devrait exploser à 1.660 % en 2017.
Un fragile retour au dialogue s’est cependant produit début novembre avec le rassemblement autour d’une même table du gouvernement et d’une partie de l’opposition sous les auspices du Vatican et de l’Union des nations sud-américaines (Unasur) qui a débouché sur une déclaration commune visant la réconciliation nationale. Fin joueur, en acceptant de négocier, Maduro a mis au jour les fractures qui règnent au sein d’une l’opposition traversée par divers courants allant du centre à l’extrême droite. Reste enfin une dernière inconnue de taille: en janvier, une nouvelle administration étatsunienne arrivera aux affaires.