Espace de libertés – Décembre 2017

Dénominateur commun(autaire): le docu


Culture

À coups de projections, ARGOS et l’ISELP exposent des films documentaires de création comme des œuvres encadrées. Les deux institutions bruxelloises sondent les communautés, leurs rapports avec le monde, ce qui les lie et les délie, et les portes à ouvrir pour y pénétrer.

 


Dans notre monde contemporain, dominé par l’individualisme, elles persistent. Elles ont incarné l’utopie, évoquent l’entre-soi, le repli parfois. Quelles idées nous faisons-nous aujourd’hui des communautés ? Quels sont les seuils à franchir pour aller à la rencontre de l’autre ? Comment se définit une communauté ? Autant de questions interpellantes quand on s’intéresse au vivre ensemble, et donc à la coexistence d’individus formant un tout, un « ensemble de personnes unies par des liens d’intérêt, des habitudes, des opinions ou des caractères communs » comme la langue, l’origine, la citoyenneté, le vécu… ou la passion du cinéma du réel.

« COM ∩U TIES », l’exposition organisée par l’Institut supérieur pour l’étude du langage plastique (ISELP) –francophone– et l’ARGOS, Centre for Art and Media –néerlandophone (comme son nom ne l’indique pas) lance des pistes qui apportent des éléments de réponse à travers une large sélection de films documentaires et de vidéos de la collection d’ARGOS. Avec 46 courts, moyens et longs-métrages réalisés par une quarantaine d’artistes –le film documentaire étant considéré ici comme une œuvre d’art contemporain– de Belgique et d’ailleurs, ce sont des heures de visionnage en perspective.

Sur le seuil de l’altérité

« Appréhender les communautés aujour­d’hui –et après Mai 68– consiste bien moins à observer leurs multiples revendications en tant que groupes singuliers qu’à interroger les seuils qui les déterminent dans leur relation à l’Autre » : voilà pour le scénario. «Une communauté n’existe que par son rapport à l’Autre. Et chaque individu est Autre au sein de cette communauté », ajoute Maïté Vissault, co-curatrice de cette exposition de documentaires pour le moins originale.

« L’exposition s’articule en quatre chapitres, quatre façons d’appréhender les communautés », nous expliquent les curateurs Ive Stevenheydens et Maïté Vissault. « Une première sélection de films a été faite sur la base du thème, puis nous les avons articulés en catégories afin de leur donner une cohérence », poursuit la curatrice de l’ISELP. « Le corpus est très vaste, il fallait un classement. » Ainsi l’urbanité, la sociabilité, la politique et l’environnement sont autant de portes d’entrée thématiques qui offrent un nouveau point de vue lorsque deux d’entre elles s’ouvrent en même temps.

Intersection et union

Avec toutes ces portes, on se sent d’abord un peu perdus tant le choix est grand. À ARGOS, le visionnage est individualisé, avec une liberté de choix. Comme avant d’aller au ciné, on décortique ce qui est à l’affiche. Comme dans notre salon, on appuie sur le bouton « play ». On zappe d’un écran à l’autre, d’un film sur le secteur du lobbying à Bruxelles à un autre sur la commémoration de la mort d’Atatürk en Turquie, en passant par les surenchères préélectorales de Bébé Rico et Bébé Élégance au Congo et par les témoignages d’une centaine de Berlinois sur ce que c’est d’être Allemand aujourd’hui. Impossible de tout voir en une fois, il faudra revenir. À l’ISELP, le programme change toutes les trois semaines –un chapitre à la fois– et sur l’écran géant, la vision, collective, est frontale, imposée. Tourne en boucle une sélection de plusieurs films sur l’urbanité, actuellement sur l’environnement.

Peut-on parler des communautés aujour­d’hui sans évoquer celles de croyant·e·s et d’athées ? « Au sein de la communauté des êtres humains, laïque, les communautés religieuses traversent le thème général de façon transversale », nous répond la curatrice. Les documentaires exposés dans « COM ∩U TIES » n’offrent pas de focus particulier sur les communautés philosophiques –un thème d’expo en soi, à vrai dire– mais suscitent une réflexion globale, avec un parti-pris résolument positif : « Les communautés aujourd’hui se forment autour de processus, traitent de synthèses et d’unions, mais rarement de rejets et de conflits. »