Espace de libertés – Décembre 2017

Europe. La crainte du sursaut régionaliste


International

La course en solitaire entamée par les indépendantistes catalans serait-elle susceptible de faire naître d’autres vocations? L’Europe est composée de 27 États et de 350 membres issus de collectivités régionales et locales, représentés au sein du Comité des régions. Et les tentations autonomistes ne sont pas isolées.


 

Face aux velléités indépendantistes catalanes, les débats sur les revendications régionalistes ont en ammé certains cercles politiques et intellectuels. Ils attestent que la question autonomiste n’est pas morte, même si chez nous, la presse constate que la Flandre serait désormais moins demandeuse d’une séparation. Elle se trouverait très bien au sein de l’État fédéral belge, affirmait récemment une étude indépendante, préférant le « dominer » plutôt que de le quitter dans la mesure où il sert ses intérêts.

Les pulsions sécessionnistes renaissent a fortiori dans des régions riches.

Un patchwork de nations et de minorités

Mais quid de l’Italie du Nord, de l’Écosse, du Pays basque, de la Corse, etc.? À chaque fois que des autonomistes font valoir leurs revendications face à l’État central, la crainte qu’une onde de choc rebondisse dans toute l’Europe fait frissonner les capitales. Le Vieux Continent est un patchwork de « nations » et de minorités qui ont toutes des intérêts à faire valoir. Les États actuels sont les garants d’un certain équilibre entre celles-ci dans la mesure où ils garantissent l’égalité de tous devant le droit et la Constitution.

Mais ce mikado est fragile et il n’est pas étonnant que la volonté d’indépendance de certaines régions exaspère ou inquiète. Ce fut notoirement le cas en 2008, lorsque l’ex-province serbe du Kosovo déclara unilatéralement son indépendance. Aujourd’hui, 114 des 193 États membres des Nations unies l’ont reconnu. Mais pas l’Espagne.

Toutes les régions ne sont pas intéressées par l’autonomie ou l’indépendance. Mario Telo, l’ancien président de l’Institut des études européennes de l’ULB, rappelle que l’aspiration des « petites patries » à voler de leurs propres ailes est souvent une affaire de confort économique. « Cette tendance est vraie en France, en Italie, en Belgique ou en Grande-Bretagne, mais avec des formes différentes », analyse le politologue. Or, ce confort économique, barré pendant presque une décennie par la crise de 2007 et ses conséquences, fait aujourd’hui son retour. Les pulsions sécessionnistes renaissent a fortiori dans des régions riches qui veulent profiter de l’embellie pour échapper au modèle homogène imposé par la globalisation.

Une autonomie négociée

Le problème, c’est qu’elles doivent répondre à la Constitution et aux lois des États qui les abritent. Elles n’ont donc d’autres solutions que la négociation, du moins si le pouvoir central l’accepte. Inutile de compter sur l’Europe: elle n’est que l’émanation d’États membres qui, bien sûr, ne lui ont pas remis les outils de leur propre fragmentation.

La porte n’est pas fermée pour autant, contrairement à ce que peut laisser penser la tournure prise par les événements en Catalogne. Mario Telo cite en exemple les tractations menées en ce moment entre Rome et l’Italie du Nord. Cette dernière demande davantage d’autonomie fiscale au terme d’un vote organisé le 22 octobre par la Ligue du Nord. Par le passé encore, d’autres négociations ont permis au Pays basque espagnol d’acquérir davantage d’autonomie en matière d’enseignement et d’usage de la langue, de fiscalité, etc.

« La preuve que cela a fonctionné est qu’il n’est plus question aujourd’hui de la violence de l’organisation séparatiste ETA », continue Mario Telo. « Il existe une voie rationnelle qui consiste dans des négociations entre membres d’une même nation. Il ne faut pas pour autant occulter la nécessité de conserver entre eux une certaine solidarité. Les transferts financiers entre l’ouest et l’est de l’Allemagne réunifiée ont permis de réduire les écarts entre riches et pauvres. Le fédéralisme peut atténuer les tensions. »

Quid si l’on a affaire à un pouvoir central qui méprise l’État de droit, la démocratie et les droits de l’homme? « Alors, continue Mario Telo, il est toujours possible de recouvrir à l’article 7 du traité de Lisbonne pour contester le caractère démocratique de l’État membre concerné. » Une telle procédure est aujourd’hui pendante contre la Hongrie et la Pologne, deux pays qui devront peut-être choisir à un moment donné entre leur liberté constitutionnelle et le fait de voir suspendue leur appartenance à l’UE.

L’État tampon, entre Europe et régions

On l’oublie parfois, mais il existe un Comité européen des régions. Un bémol: il n’est en rien une alternative au Conseil des ministres et au Parlement européens. L’Union européenne, il faut le rappeler, reconnaît les États non les régions. Mais la consultation du comité est obligatoire. Faute d’imposer une décision, il peut au moins espérer l’orienter.

« Dans les années 1960, commente Mario Telo, certains ont imaginé une Europe des régions dans laquelle les États seraient réduits à des coquilles vides une fois leurs compétences déléguées au niveau régional. Cette ambition a été battue en brèche par la conviction que l’Europe devait être bâtie sur des États forts. Ils représentent un niveau indispensable entre les régions et l’UE. »

Face à une telle réalité, le fédéralisme est souvent utile pour amortir les revendications sécessionnistes. Il peut injecter de l’élasticité dans un modèle réputé rigide, pour éviter les fractures entre le pouvoir central et ceux qui veulent s’en distancier. Dans le cas contraire, la fragmentation d’un État implique celle de l’UE, avec des conséquences fâcheuses pour son fonctionnement, mais aussi pour son poids et son image à l’international.

Dans un tel contexte, le Brexit pourrait avoir des effets redoutables car il va à l’encontre du renforcement de l’UE. « Néanmoins, termine Mario Telo, le départ de la Grande-Bretagne a été bien géré jusqu’ici par ses partenaires. Le problème de l’Europe et de ses États membres est devenu celui des Britanniques. »