Si la plupart des politiques sont favorables à l’institutionnalisation d’un service citoyen, paradoxalement, il n’existe pas de cadre légal pour protéger les nombreux jeunes qui s’engagent dans cette aventure humaine. Pourtant, les pays européens qui l’ont instauré se félicitent de son succès.
En mars 2015, dans les pages du Soir, une série de noms du monde politique, artistique et universitaire signaient une carte blanche en faveur de l’instauration du service citoyen. C’était dans la foulée des attentats à Charlie Hebdo. Les consciences s’inquiétaient de l’importance des initiatives en faveur du « vivre ensemble », qui semblait soudain, à la lumière d’une actualité saisissante, un cruel échec. Depuis, alors que les cours de citoyenneté ont vu le jour, le service citoyen n’a toujours pas de cadre institutionnel. Pourtant, les jeunes qui y participent en ressortent plus ancrés dans la société.
D’après l’enquête Generation What? (1), 63% d’entre eux sont d’ailleurs favorables à l’instauration d’un service citoyen obligatoire. Lui octroyer un statut serait nécessaire, selon les nombreux défenseurs de ce service. Car rien n’a encore été concrétisé en Belgique. Pour cause de complexité des institutions belges, des compétences et des questions de nancement où le fédéral, les communautés et les régions se renvoient la balle. Aujourd’hui, après douze propositions de loi, 20 ans d’attente et un colloque sur la question, Maggie De Block a promis un statut, attendu avec une certaine impatience. « Reconnaître un statut au jeune qui exerce son service citoyen est important à plusieurs niveaux », explique François Ronveaux, le directeur de la Plateforme pour le service citoyen. « D’abord parce que ça lui permettrait d’être dispensé de rechercher de l’emploi, ça lui donnerait droit à des avantages, notamment en matière de sécurité sociale, et ça inclurait aussi un projet d’État, avec un budget et une structure portante. »
Une autre réalité
Au-delà de l’expérience stricto sensu, le jeune acquiert une confiance en lui.
En France, le service civique, qui est financé par l’État, attire 90.000 jeunes chaque année. Même réalité en Allemagne, aux Pays-Bas, en Italie. Les raisons d’un tel succès sont multiples, et visiblement communes aux pays européens: « Il y a d’abord un contexte sociétal contemporain », explique François Ronveaux. « Dans son ouvrage Sociologie de la jeunesse, Olivier Galland montre que celle-ci a changé par rapport aux générations précédentes. Il y a à peine un siècle, un jeune de 25 ans était déjà marié, avait des enfants, un travail, qui durait souvent toute une vie. Aujourd’hui, au même âge, le jeune vit encore parfois chez ses parents et il s’interroge sur que faire de sa vie. Il y a une disparition des piliers, de la famille et une société qui s’est horizontalisée. Le service citoyen offre un cadre structuré, structurant et bienveillant qui lui permet d’expérimenter le monde du travail, dans des domaines qui l’intéressent. Au-delà de l’expérience stricto sensu, le jeune acquiert une confiance en lui. Tout en donnant du sens à son travail et en clarifiant son horizon professionnel. » Dans son étude consacrée aux motivations qui sous-tendent ce type d’engagement (2), Valérie Bécquet distingue trois logiques de parcours et de moteurs: une envie altruiste (être utile et aider les autres), le souhait de prendre sa place dans la société, à laquelle s’ajoutent des raisons plus personnelles telles que la volonté d’acquérir des compétences ou une expérience professionnelle.
« La solidarité naît du partage du même engagement »
Les jeunes qui se destinent au service citoyen viennent de tous horizons: 15% d’entre eux sont hautement qualifiés, 4% sont diplômés du secondaire supérieur et enfin 48% sont faiblement qualifiés. Avec parfois des parcours chaotiques, un passage par la prison, ou simplement, une adolescence passée dans des quartiers « difficiles ». « Lors de la semaine d’intégration, chacun met sur la table son parcours, ce qui les ouvre les uns aux autres », explique François Ronveaux. « Cette mixité a un point commun avec l’ancien service militaire où des jeunes de tous horizons se retrouvaient sur un pied d’égalité. Une solidarité se créait dans le groupe
face à la contrainte extérieure. Ici, ce qui soude le groupe, c’est l’inverse: la solidarité naît du partage de la même motivation à travailler pour la collectivité. » Une véritable formation à la citoyenneté fait d’ailleurs partie intégrante du service citoyen et prévoit des rencontres avec des représentants politiques, l’apprentissage de l’interculturalité, la sensibilisation à l’intergénérationnel, au handicap, à la consommation responsable, à l’environnement… À cela s’ajoutent des temps de rencontres avec d’autres jeunes qui partagent la même expérience, des formations à d’autres missions que celle à laquelle le jeune consacre son service citoyen, un suivi personnel ainsi qu’une évaluation finale. De quoi lui ouvrir grand l’horizon.
(1) Generation What?, grande enquête sur les 18-34 ans menée dans 12 pays d’Europe, www.generation-what.eu.
(2) Valérie Bécquet (dir.), Le service civil: impacts et enjeux socio-économiques de l’engagement volontaire des jeunes, Appel PICRI/Conseil régional d’Île-de-France, 2009- 2012.