Espace de libertés – Décembre 2017

Une messe athée et révolutionnaire


Culture

« Curé le jour, athée la nuit »: voici Jean Meslier! Philosophe, penseur politique et humaniste du XVIIIe siècle. Un véritable précurseur des Lumières. Dans son presbytère, il écrit ses mémoires dans lesquelles il dénonce la suprématie de l’Église et du pouvoir en place. Jean-François Jacobs les adapte et les met en scène dans ce qui semble être une « messe athée ».


Les mots explosent, les pensées basses font surface. Trois siècles après la mort du curé, sa messe athée rêvée est devenue réalité. Jean Meslier n’est pas seulement ce petit curé du village d’Etrépigny, dans les Ardennes françaises. Certes, il critique et dénonce les injustices de l’Église et autres « abracadabrances bibliques, évangélistes et monothéistes » dans ses mémoires. Mais il repousse la pensée critique toujours plus loin, dénonce les incohérences et l’oppression des « grands de la terre », jusqu’à rédiger un réel projet politique de libération du peuple. Et ce, avant même la Révolution française. Il est considéré comme le premier athée révolutionnaire. Impossible pour Jean-François Jacobs, metteur en scène et athée militant, de passer à côté de ce personnage et de ses écrits.

Une messe athée

Dès l’arrivée du public dans la salle, le curé Meslier interprété par Alexandre Von Sivers accueille la foule, habillé de sa soutane. Le public prend place et assiste à ce qui semble être une messe. Nous sommes au XVIIIe siècle. Le cadre est posé : ambiance feutrée, mobilier vétuste et décor religieux mais sobre. Le curé nous lit le rapport de l’archevêché de Reims. Pas très favorable… Le « bon curé » est rappelé à l’ordre. Il se rapproche trop de ses paroissiens et s’éloigne de Dieu. Obscurité.

Un fond sonore se fait entendre récitant les textes poignants et détonants de Jean Meslier. C’est bien une messe à laquelle le public assiste. Mais pas catholique. Non, en guise de liturgie, des propos révolutionnaires mais aussi des réflexions issues de recherches scientifiques, de déductions rationnelles et critiques. Une bombe explose alors dans la salle : « Unissez-vous donc, peuples, si vous êtes sages! Toutes les religions ne sont que des inventions humaines. La matière ne peut avoir été créée. Elle est d’elle-même son être et son mouvement. Il n’y a point de Dieu. » Et ce n’est que le début.

Le théâtre: l’église de l’athée révolutionnaire

« Après avoir lu l’essai de Serge Deruette sur les mémoires de Jean Meslier (1), j’ai voulu rendre hommage à ce précurseur des Lumières. Je l’ai imaginé vivant à notre époque, dans notre pays, lui qui n’a jamais pu dire tout haut, ce qu’il écrivait tout bas. Je me suis donc lancé dans la rédaction de cette pièce sous forme de messe athée. Ne pouvant plus lire, ni écrire après avoir perdu la vue, il s’est donné la mort, se considérant inutile auprès du peuple dont il était proche. Nous sommes aujourd’hui ses paroissiens, dans son église: un théâtre », nous confie Jean-François Jacobs.

« Pour croire fidèlement, il faut croire aveuglément ce qui est incroyable. » Tout comme Voltaire fut conquis par les écrits du curé, Jean-François Jacobs laisse exploser la pensée athée et révolutionnaire du curé Meslier. Étant lui-même athée militant, c’était aussi la possibilité pour le metteur en scène de « prêcher la bonne parole athée ». « Dans une église, le curé prêche la parole de Dieu, eh bien dans un théâtre, je fais prêcher les paroles de mes convictions. » Comme le souligne Serge Deruette, « l’athéisme prône une séparation entre les religions et les consciences » (2). L’écriture de la pièce construite dans un langage moderne nous donne à voir les premières théories athéistes du curé prônant cette séparation du religieux, ici catholique, et de la conscience. Un message de responsabilité citoyenne auquel Jean-François Jacobs fait écho : « Jean Meslier voulait forger l’esprit critique de ses amis, ses paroissiens, du peuple. En lui consacrant une pièce, c’est également ce que je souhaite transmettre, à mon échelle, au public et notamment aux nouvelles générations: ne jamais cesser de douter, de critiquer. »

 


(1) Serge Deruette, Lire Jean Meslier, curé et athée révolutionnaire, Bruxelles, Aden, 2008, 415 pages.

(2) « Mais comment peut-on être athée ? », dans Espace de libertés, n° 456, février 2017, pp. 42-45.