Écocide, géocide, biocide… Divers mouvements sociaux veulent ajouter au droit international ce crime contre l’humanité qu’est la destruction totale d’un environnement naturel indispensable à la survie des humains. À l’heure des tergiversations autour de la prolongation de l’utilisation du glyphosate au sein de l’Union européenne, la question se pose d’urgence.
La notion d’écocide avait déjà été lancée en 1972 par le Suédois Olof Palme, grande figure des mouvements anticolonialistes, pacifistes, tiers-mondistes. Il dénonçait les ravages de l’agent orange, un défoliant contenant de la dioxine, très toxique pour les humains. Il avait été largué en masse par les forces américaines sur de vastes étendues boisées et des villages vietnamiens. Un « crime contre la paix », clamait alors Olof Palme durant une conférence des Nations unies sur l’environnement humain à Stockholm. Malgré le bilan extrêmement lourd de l’usage de ce défoliant, notamment fabriqué par Monsanto, l’écocide n’a pas reçu le statut de crime par la Cour pénale internationale (CPI). Pourtant, la CPI peut cependant reconnaître, dans certaines conditions, des crimes commis contre l’environnement naturel. Mais seulement au titre de « crime de guerre » (1).
L’espèce humaine pour cible
Selon Éric David, président du centre de droit international de l’ULB, « le seul moyen d’intégrer les crimes environnementaux parmi ceux gurant au Statut (en dehors de l’hypothèse des crimes de guerre) serait de les assimiler à des crimes contre l’humanité en tant que persécutions ou autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale (2), mais il faudrait alors démontrer qu’ils sont commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile (3) ».
De plus, la CPI ne peut poursuivre que des personnes physiques et non des personnes morales comme les entreprises. C’est ainsi qu’elle n’a pas pu examiner l’affaire Chevron/Texaco, cette firme accusée de crime contre l’humanité en Équateur où des millions de tonnes de déchets toxiques ont été déversés en pleine jungle, dévastant irrémédiablement l’environnement de populations amazoniennes.
Limites et ouverture de la CPI
Dans un document de politique générale (4) publié en septembre 2016, la procureure de la CPI a cependant fait preuve d’ouverture. La CPI peut « coopérer avec l’État partie qui mène une enquête ou un procès concernant un comportement qui constitue un crime relevant de la compétence de la Cour ou un crime grave au regard du droit interne de cet État, et prêter assistance à cet État. » Alors, « les destructions de l’environnement et les confiscations de terres seront désormais traitées comme des crimes contre l’humanité. […] Le bureau s’intéressera particulièrement aux crimes impliquant ou entraînant des ravages écologiques, l’exploitation illicite de ressources naturelles ou l’expropriation illicite de terrains » (5), affirmait-elle.
Se recentrer sur les droits humains
Les membres de cette instance se sont inquiétés du « fossé grandissant entre le droit international, les droits de l’homme et la responsabilité des sociétés », exhortant les Nations unies à agir, « faute de quoi le recours aux tribunaux arbitraux résoudra des questions fondamentales en dehors du système onusien ». Ils ont aussi
estimé que la CPI devrait être apte à juger des entreprises pour écocide (6).
Toutes ces initiatives visent à affirmer la primauté des droits humains et de l’environnement sur le droit international de l’investissement et du commerce. C’est d’ailleurs ce à quoi travaille le Conseil des droits de l’homme des Nations unies à Genève, qui tente d’élaborer des mesures contraignantes pour les multinationales prédatrices.
L’opposition au système d’arbitrages privés en cas de différends entre investisseurs et États (souvenez-vous du TTIP et du CETA) s’inspire du même principe: les entreprises privées ne peuvent pénaliser les autorités publiques qui veulent protéger les droits des citoyens à la santé et à un environnement sain (7). Par contre, les citoyens doivent exiger des États qu’ils les protègent ainsi que l’environnement naturel. La survie de tou·te·s est enjeu!
(1) Art. 8, § 2, b, iv du Statut de Rome, 1998.
(2) Art. 7, § 1, h, et k.
(3) Art. 7, § 1.
(4) Bureau du procureur, « Document de politique générale relatif à la sélection et à la hiérarchisation des affaires », 15 septembre 2016, mis en ligne sur www.icc-cpi.int.
(5) Paragraphe 41.
(6) Cf. www.monsanto-tribunal.org.
(7) Éric David et Gabrielle Lefèvre, Juger les multinationales, GRIP/Mardaga, Bruxelles, 2015.