Espace de libertés | Novembre 2020 (n° 493)

Espagne : revenus et déconvenues


International

Le revenu minimum vital, un subside conditionné et destiné aux personnes les plus pauvres, a été présenté comme l’une des grandes mesures du gouvernement espagnol afin de faire face à la catastrophe sociale entraînée par la Covid-19. Une catastrophe qui s’ajoute à la situation déjà déplorable d’une population qui ne s’est toujours pas relevée de la crise économique de 2008.


Avant même sa mise en place, le revenu minimum vital (RMV) était déjà – à juste titre – critiqué par certaines personnes qui connaissent l’application des allocations conditionnées, notamment au sein de l’Union européenne. Après tout, le RMV est un style de subside qui existe actuellement dans toutes les régions autonomes du royaume d’Espagne et dans de nombreux États de l’Union européenne. Mais il s’agissait jusqu’à présent d’une mesure locale, et non fédérale, d’où le fait que son instauration récente ait été qualifiée d’ »historique » par ses partisans. Selon les propres déclarations du gouvernement, la mesure est structurelle et offre un « filet de sécurité permanent ».

A sex worker holds a sign reading “Pandemic = Poverty” during a protest in Quito on July 6, 2020, amid the new coronavirus pandemic. - Hundreds of sex workers and nightclub workers demanded the government the reopening of their work places, closed since the beginning of March. (Photo by RODRIGO BUENDIA / AFP)

Les allocations conditionnées ont des coûts administratifs très hauts. C’est un problème ancien et bien connu. © Rodrigo Buendia/AFP

On connaît depuis longtemps les graves défauts des aides financières conditionnelles pour les plus démunis, et le désastre occasionné par le RMV dépasse l’imagination. Nous nous pencherons dans cet article sur les problèmes généraux du RMV en tant qu’allocation conditionnée, sur la réalité de son application au moment de la rédaction de ces lignes, début octobre, et enfin sur la proposition du revenu de base. Ne seront pas abordés ici les autres types d’allocations conditionnées tels que les allocations de chômage, qui possèdent des problématiques spécifiques et mériteraient d’être analysées séparément.

Problèmes généraux

Le premier problème qui se pose est le piège de la pauvreté. Lorsque l’on est bénéficiaire d’une allocation conditionnée, il ne vaut mieux pas chercher à effectuer un travail rémunéré, puisque cela implique la perte partielle, voire totale, du subside. Dans 35 États des États-Unis, le piège de la pauvreté qui découle des aides conditionnées implique que les personnes recevant des prestations perdraient de l’argent si elles acceptaient un emploi rémunéré au taux du salaire minimum.

Viennent ensuite les coûts de gestion très élevés. Les allocations conditionnées ont des coûts administratifs très hauts. C’est un problème ancien et bien connu. Si l’on doit sélectionner qui « mérite » et qui ne « mérite pas » un subside conditionné, on doit vérifier le profil des bénéficiaires. La conditionnalité implique un contrôle, qui lui-même engendre des coûts de gestion et d’administration. La raison en est bien connue : il s’agit de contrôler si la personne bénéficiaire de l’allocation conditionnée remplit les conditions légales lors de sa demande et, surtout, si elle remplit toujours les conditions par la suite : le contrôle a donc lieu au moment de l’octroi du subside et durant la période de réception. Cela implique des milliers et des milliers de personnes soumises au contrôle de la conditionnalité de ce type d’allocations !

Le troisième problème inhérent au système est la stigmatisation associée aux subsides conditionnés : l’obligation pour les personnes candidates de se présenter, aux guichets de l’administration, en tant que « pauvres » ou « malades », voire directement en tant que « coupables » d’être des « ratés ». Les allocations conditionnées induisent souvent des questions intrusives, y compris sur les relations personnelles les plus intimes des personnes demandeuses, questions qui peuvent être complétées par des visites de contrôle à domicile. L’administration bureaucratique semble parfois traiter les personnes demandeuses d’allocations conditionnées comme de potentiels criminels sur le point de frauder. Ce traitement est sans conteste stigmatisant.

Enfin, il faut savoir que la proportion de personnes qui ne demandent pas d’allocations alors qu’elles remplissent toutes les conditions d’éligibilité atteint des taux impressionnants, parfois jusqu’à 60 %. Les raisons sont de différente nature : personnelles, liées à la conception du type d’aide, à la gestion, etc. Le non-recours aux droits est un problème majeur compte tenu de son ampleur.

Le RMV à l’épreuve de la vie

Près de quatre mois après le début de l’application du RMV, de nombreux articles ont déjà été publiés sur la catastrophe qu’il occasionne. Quelques données officielles – émanant du ministre de l’Inclusion, de la Sécurité sociale et des Migrations José Luis Escrivá Belmonte, responsable du RMV – permettent de comprendre rapidement la situation. Début octobre, 900 000 demandes avaient été reçues. Sur les 300 000 traitées, soit un tiers, 90 000 ont été accordées. Si l’on déduit les 75 000 demandes traitées d’office (c’est-à-dire sans dossier de dossier), 15 000 des 225 000 demandes qui n’ont pas été traitées d’office ont été accordées. C’est-à-dire seulement 7 %. Selon cette proportion, sur les 600 000 demandes qui restent à traiter, 42 000 seront accordées. Au total, on devrait donc arriver à 132 000 bénéficiaires du RMV. On est loin, très loin des 850 000 annoncés, alors même que l’objectif n’était pas très élevé. En effet, en 2019, l’Espagne comptait à peu près 10 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté. L’objectif du RMV était de toucher 25 % de cette population au maximum (850 000 familles, à raison de 2,5 personnes par famille) et de réduire d’autant le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, rien n’étant prévu pour les 75 % restants.

Le revenu de base comme gage de liberté

Face aux lacunes des allocations conditionnées – et le RMV n’étant qu’un cas spécifique, même s’il est particulièrement catastrophique –, des voix se sont élevées de toutes parts (militants de différents mouvements sociaux, académiciens, syndicalistes, le secteur culturel…) afin de plaider pour le revenu de base (RB). Et ce, encore plus depuis la fin du confinement. Ainsi, une collecte de signatures dans le cadre d’initiative citoyenne européenne en faveur du RB a été lancée le 25 septembre.

Quand on parle de revenu de base, on parle d’une somme régulièrement versée par l’État à l’ensemble de la population, de façon individuelle, inconditionnelle et universelle. En tant que revenu inconditionnel, le RB ne serait soumis à aucune condition. Pas d’examen préalable des moyens financiers, donc. En tant que revenu universel, le RB serait reçu par l’ensemble des citoyens et des résidents accrédités. En tant que revenu individuel, le RB serait versé aux personnes et non pas aux ménages. Son langage est celui des droits humains et de la citoyenneté. Car celui qui n’a pas une existence matérielle garantie n’est pas et ne peut pas être libre.