«En lutte. Histoires d’émancipation», tel est le titre de la nouvelle exposition permanente de La Cité Miroir à Liège depuis février. Une aventure qui ne date pas d’hier. L’idée a fait son chemin depuis des années, comme une lutte bien profonde, une vraie. À l’initiative du Centre d’Action Laïque de la Province de Liège, c’est un voyage dans le temps qui nous est offert, au travers des luttes ouvrières depuis la création de la Belgique.
Démocratie, égalité, dignité… De jolis mots qui perdraient de leur sens s’ils ne nous rappelaient le sale boulot qu’ont dû fournir les hommes et les femmes, les travailleurs du XIXe siècle, sans mot dire, jusqu’à ce que l’élastique de l’injustice ne «pète» au visage de la bourgeoisie trop occupée à faire du profit.
Le parcours de cette nouvelle exposition sous-tend largement l’idée que les actions collectives peuvent déboucher sur des avancées sociales pour tous. Et rien que cette idée-là peut faire du bien. Dans un monde d’individualisme, de consumérisme, de crises économiques et surtout de peur en l’avenir, tout semble avoir évincé la solidarité. À l’heure de gloire des nouveaux gourous du bien-être, de la pleine conscience et de l’introspection, on perd sans doute la force de s’ouvrir à l’autre et de réinvestir la sphère du groupe. Bien sûr, si le «connais-toi toi-même» socratique est d’importance, c’est aussi la somme des individualités qui se connaissent bien qui permet une grande force d’action sans laquelle bien des combats à mener n’auraient pu se faire. Dans sa démarche d’éducation permanente, le Centre d’Action Laïque de la Province de Liège veut permettre de réinvestir les questions essentielles de l’intérêt général, de l’émancipation collective, de la citoyenneté, du bien commun et du vivre ensemble. Dont acte.
Suivez la voix
À travers cette exposition, l’objectif est de «réveiller les consciences, par le récit du passé, son articulation au présent et ses prolongements qui questionnent». Voilà pour l’intention. Concrètement, «En lutte» c’est une de ces expos entièrement automatisées, guidées par l’image, le son et des jeux de lumière. La belle idée, c’est cette voix, celle de l’acteur français Philippe Torreton, habitué aux grands personnages historiques. Il a déjà campé le rôle de Napoléon, Jean Jaurès, Mazarin ou Colbert; une voix engagée, donc. On déambule ainsi dans les différents espaces avec un Philippe Torreton qui nous plonge dans l’histoire des luttes sociales menées par les travailleurs contre les inégalités, l’aliénation et les dominations depuis le XIXe siècle jusqu’à nos jours.
Philippe Torreton nous plonge dans l’histoire des luttes sociales menées par les travailleurs.
«On se rend compte qu’une série d’acquis sociaux dont nous bénéficions tous les jours sont le fruit d’une lutte, ne sont pas tombés comme cela, ne sont pas le fruit du hasard mais le fruit, parfois, de péril de vie», témoigne Jacques Smits, directeur du Centre d’Action Laïque de la Province de Liège. «Cela nous paraissait essentiel dans notre action, dans notre but à créer une société plus juste, plus égalitaire, plus solidaire, d’évoquer et de présenter à notre public un outil qui fasse réfléchir. Notre modèle social, notre économie d’aujourd’hui posent question, poursuit-il. La pauvreté, la précarité, cela nous inquiète, quand on sait qu’un enfant sur quatre en Fédération Wallonie-Bruxelles vit sous le seuil de pauvreté, ce n’est pas acceptable.»
Émergence de la question sociale
Le parcours commence en 1830 dans le contexte d’un capitalisme débridé. Inégalités sociales, politiques, économiques et culturelles entre deux classes, le prolétariat et la bourgeoisie. Une pauvreté organisée par l’une pour écraser l’autre. Le travail vidéo de cette première salle est tout à fait remarquable. On le doit à la société bruxelloise Leila Film engagée dans la création cinématographique. Voici la fin de la première séquence de ce film documentaire où l’on suit les tribulations de deux familles, l’une pauvre, l’autre riche; nous sommes alors en 1886. Stop. On se lève vers la salle suivante, on fait quelques pas, on reprend place sur d’autres bancs, pour découvrir une époque plus chaotique avec les émeutes de 1886. Le 18 mars, cette année-là, dans le centre de Liège, un meeting se transforme en une nuit d’émeutes. Les travailleurs laissent éclater leur désespoir. La question sociale est née. Certains s’en souviennent: un grand-père leur a raconté. D’autres la découvrent et voilà que l’expo devient un échange inter-générations: on chuchote ses impressions en passant d’un lieu à l’autre. Les salles se suivent, ne se ressemblent pas trop. On s’installe à présent dans le décor d’un ancien café et dans un coin, comme cela se faisait à l’époque, de vieux téléphones sont installés au mur. Ils nous permettent d’entendre les voix d’économistes d’alors, de leur poser symboliquement les questions qui nous taraudent, pour se rasseoir ensuite et visionner un autre film illustrant le processus des luttes qui s’organisent avec leurs suites politiques: instruction publique, suffrage universel, droits sociaux, sécurité sociale. Nous voilà plongés dans l’hiver 1960 et ses grandes grèves. La suite on la connaît, c’est le démantèlement contemporain de l’État-providence dans un système économique et financier en crise.
Et maintenant?
Arrivent les questions cruciales de fin de parcours. Ce pour quoi cette expo prend tout son sens: quelles sont nos forces sociales aujourd’hui? Quel souffle leur redonner? On bute un peu sur les réponses à apporter… D’ailleurs, la mise en image «bugge» un peu, les plans de la vidéo s’enchaînent, se répètent comme une série de hoquets. À dessein? Pour renforcer le propos? Ou manque-t-on ici d’illustrations? Cela laisse un petit goût de trop peu que la jeune génération, bien au fait de ce langage, appréciera… ou pas.
La fin de l’expo eût pu être plus joyeuse, comme le documentaire à succès Demain qui propose des solutions à la survie de notre monde aux quatre coins d’une planète pourtant menacée. Mais le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle est «en lutte», une lutte à refaire, sans prendre nos acquis pour choses dues. Les dernières images rendent ainsi hommage aux différentes organisations internationales qui se révoltent pacifiquement dans le monde chaque jour, chaque minute. Se souvenir et dire aux jeunes qui l’ignorent encore que des femmes et des hommes se sont battus pour que nous en soyons là aujourd’hui et qu’en temps de crise migratoire, les droits humains et les démocraties peuvent être vite balayés de la main.