Espace de libertés – Avril 2016

L’assistance morale, un étrange concept au pays de l’autonomie libertaire


Dossier
Si on résume l’assistance morale à la préoccupation du bien-être des personnes, on passe de l’attention compatissante au souci de l’autre.

Opter pour le care, plutôt que pour la compassion passe non pas par un souci motivé par la surveillance des consciences, la préoccupation de la bonne conduite et des bons sentiments, mais par la volonté d’être libre et de partager ce droit à la liberté. Liberté de se positionner, d’hésiter, liberté d’agir ou de méditer. De son point de vue, c’est-à-dire positionnée au niveau de l’État, la laïcité cherche simplement à garantir un régime des libertés qui se passe très bien d’une morale, quelle qu’elle soit.

Morale, mais pas moralisatrice

La laïcité protège les citoyens des tentations d’hégémonisme de telle ou telle morale religieuse ou de tel ou tel «idéologisme» pour lesquels leur propre liberté d’expression se confond souvent avec la liberté de limiter celle des autres et si elle le fait, ce n’est pas pour prodiguer une «autre» morale. Bien au contraire, elle s’en abstient foncièrement et se limite à guider un État démocratique dans une construction continue d’une société paisible, garante des libertés, de l’égalité, d’une diversité solidaire et de justice.

Néanmoins, défendre des valeurs, assurer une vigilance par rapport au respect des droits fondamentaux, se soucier du libre choix des personnes sont bien des préoccupations centrales pour le mouvement laïque. Mais pour concrétiser ces ambitions, le CAL doit agir, proposer des services concrets, ouverts à tous, des réalisations tangibles. L’assistance morale laïque a pour mission d’aider les personnes à (re)trouver le bien-être afin de pouvoir trouver leur satisfaction ici et maintenant. Elle ne pose pas de jugement, mais apprécie librement et objectivement les situations, consciente de sa responsabilité. Elle pratique l’analyse critique excluant tout préjugé. Elle vise l’autonomie de la personne et l’exercice effectif de la citoyenneté, quelles que soient ses convictions philosophiques ou politiques. Une démarche fondée sur une relation d’égalité et sur la reconnaissance des interlocuteurs en tant qu’individus.

Une contribution au bien-être

La démarche consiste à permettre, par de multiples biais, à contribuer au bien-être des personnes dans une perspective d’autonomie, de jouissance de leurs choix et de leur liberté.

S’il est assez aisé et clair, pour la majorité des personnes qui s’en préoccupent, d’appréhender les contours et la concrétisation de l’assistance morale sectorielle, la perception, la représentation de l’assistance morale généraliste est plus complexe. La démarche consiste à permettre, par de multiples biais, à contribuer au bien-être des personnes dans une perspective d’autonomie, de jouissance de leurs choix et de leur liberté.

Les conseillers laïques sont formés à écouter, à voir les choses positivement et à appréhender chaque situation comme un cas unique qui demande une réponse particulière. Ils ne font appel à aucune doctrine, aucune croyance, aucun dogme. Concrètement, ils déclinent leur mission de façon très diversifiée, mais toujours à partir de la demande des personnes ou des groupes: écoute, soutien moral, questions éthiques et philosophiques, information et orientation vers des services existants dans les domaines sociaux, psychologiques, juridiques… Ils peuvent également organiser des cérémonies laïques qui marquent les moments importants de l’existence.

En ce qui concerne l’assistance morale sectorielle, elle s’adresse à des publics spécifiques, placés dans des circonstances particulières et des lieux bien identifiés et certes très différents, tels les hôpitaux, les maisons de repos et de soins, les prisons, les institutions publiques de protection de la jeunesse, l’armée… Une constante domine, le besoin de pourvoir à la demande, de bénéficier d’une écoute, d’un dialogue pour donner l’énergie, la force, la volonté d’appréhender une situation douloureuse pour soi-même et pour ses proches.

Écoute et ouverture

Sans fables à raconter, sans faux espoirs à distribuer, sans promesses d’au-delà qui chantent, il manque quelques artifices dans les bagages des permanents et des bénévoles qui exercent l’assistance morale. Point de jugement de l’autre, point de conversion à gagner mais le souci du bien-être, du mieux-être, pour être à l’écoute des difficultés, des douleurs, des espoirs, préparer et construire un avenir. Pour rencontrer ce simple mais ô combien ambitieux objectif, il faut s’interroger, rester dans une optique d’écoute et d’ouverture, afin de se garder de tout enfermement dogmatique.

Une mission transversale

L’écoute individuelle, les rencontres thématiques, les ateliers philo, les conférences-débats, les publications, les réalisations audiovisuelles, les rencontres conviviales sont autant de vecteurs qui concourent à la matérialisation de l’assistance morale auprès d’un large public qui ne se limite pas, même s’il s’agit de son cœur névralgique, à «l’ensemble des personnes» d’une circonscription territoriale déterminée qui se reconnaissent dans les valeurs prônées par les associations laïques comme défini dans la loi du 21 juin 2002 (1).

Dans notre monde hyperconnecté qui produit des légions d’hyperisolés, dans un environnement de consommation qui est assimilée à l’existence, à la réussite, au bonheur, ouvrir des espaces de libertés est fondamental. L’assistance morale dans sa diversité contribue à susciter le questionnement, à donner du sens, à favoriser l’épanouissement et l’autonomie par le biais de démarches personnelles et collectives. Bref, elle permet d’être «libres, ensemble».

 


(1) Loi relative au Conseil central des communautés philosophiques non confessionnelles de Belgique, aux délégués et aux établissements chargés de la gestion des intérêts matériels et financiers des communautés philosophiques non confessionnelles reconnues.