Pendant cinq ans, une photographe belge a suivi la jeunesse égyptienne, instigatrice du soulèvement en 2011. Aujourd’hui, la sphère médiatique s’est détournée de cette génération révolutionnaire qui continue de lutter pour ses libertés. À travers l’exposition «Génération Tahrir», au Musée de la Photographie de Charleroi, Pauline Beugnies raconte le combat de cette génération et déconstruit les images stéréotypées du monde arabe et musulman.
Son nom ne vous est peut-être pas inconnu. C’est que Pauline Beugnies a remporté des prix parmi les plus prestigieux du monde en journalisme, comme le Mediterranean Journalism Award et le Nikon Press Photo Award en 2013. Ce n’est pas rien! Et pour reconnaître le travail de la photographe, il suffit d’approcher son parcours et ses reportages documentaires, toujours réalisés avec une grande profondeur. Née à Charleroi en 1982, Pauline Beugnies parcourt le monde après ses études à l’IHECS. Elle voyage au Congo, au Bangladesh, en Albanie et puis en Belgique. L’humain, ce qu’il ressent, ce qu’il vit est au coeur de son travail. En 2011, elle décide de vivre en Égypte pour y apprendre l’arabe et étudier sur le terrain le monde arabo-musulman, pour mieux le comprendre, le faire comprendre et ainsi briser les préjugés. C’est à travers l’exposition photo «Génération Tahrir» que Pauline Beugnies fait entendre et voir la vie de la jeunesse égyptienne, avant-gardiste du soulèvement en 2011.
L’immersion pour un travail authentique
Le 25 janvier 2011, premier jour du soulèvement, Pauline Beugnies est présente sur la place Tahrir, nommée «place de la Libération». La photographe belge, qui suivait de jeunes Égyptiennes venues manifester, se retrouve aux premières loges d’une révolution, dans la vague du Printemps arabe. Elle continuera à suivre cette génération après la révolte jusqu’à la fin 2015. Assoiffée de liberté et d’émancipation, la jeunesse égyptienne dégage une énergie intense et admirable que les spectateurs peuvent ressentir dans le travail de la photographe. «Génération Tahrir», présentée sous forme d’un livre et d’une exposition, rapporte cinq années d’immersion au sein des familles et des vies de jeunes Égyptiens. Elle nous montre et nous raconte les histoires de jeunes femmes et hommes, dans leurs joies, leurs espoirs, leurs peines et leur combat. Dans un contexte politique qui tend à réécrire l’histoire et effacer le visage des vrais héros, Pauline Beugnies veut partager la vie de ceux qu’elle a côtoyés et ainsi apporter un autre regard sur cette jeunesse réduite au silence dans les médias.
«Pour que les images restent quand les visages s’effacent de nos mémoires»
Il y a cinq ans, les médias du monde entier étaient fixés sur l’Égypte. Durant 18 jours, la nation égyptienne s’est soulevée contre son tyran. Le 11 février 2011, c’est la victoire contre celui qu’ils voulaient voir «dégager»: Moubarak est déchu. L’espoir et le rêve d’une véritable démocratie sont palpables, à portée de main. Et puis, plus rien. Écran vide sur l’Égypte. On n’entend plus les cris de révolte, ni de joie. Le nouveau-né démocratique qu’est l’État égyptien est confronté à ses premiers échecs. L’armée reprend le pouvoir après l’éviction des Frères musulmans. La jeunesse, première victime de cette désillusion, ne se laisse pourtant pas abattre.
L’exposition est comme segmentée entre le passé et le présent. Le soulèvement de 2011, avec ses blessés et ses héros, que Pauline Beugnies immortalise. Et aujourd’hui, avec cette génération qui a fait dégager son dictateur. Les images montrent des visages, prouvent une réalité. C’est l’histoire de ces jeunes qu’on voit debout sur des chars, brandissant des drapeaux et banderoles révolutionnaires. C’est l’histoire d’une jeunesse qui continue sa révolte à travers son quotidien, ses choix face à la religion, à la famille, aux traditions et au pouvoir en place. C’est une jeunesse qui vit et développe sa culture, souvent clandestinement, par des festivals, des studios de cinéma, ses collectifs d’artistes… Bref, une génération qui veut encore croire à «sa» liberté dans ce qui semble être une nouvelle ère patriarcale. «Génération Tahrir» est un autre regard porté sur le monde arabe et musulman, loin de ces couvertures médiatiques diabolisant une culture orientale. Il fallait parler d’eux, se souvenir et partager ce qu’ils vivent pour raconter à la jeunesse d’ici ce que l’autre vit là bas.