Espace de libertés – Avril 2016

Marquer les grandes étapes de la vie


Dossier
Parce que les mots sont essentiels pour soigner les maux de l’existence, ou pour accompagner ses moments joyeux, les cérémonies laïques permettent d’associer un engagement ou un adieu à des valeurs choisies, et non à des discours vaguement imposés.

Florence et Julien sont jeunes, beaux, leur amour rime avec toujours… et ils tiennent surtout à ce que leur union soit célébrée au-delà du mariage civil. «Trop souvent expédié comme une simple formalité», clament-ils en chœur. «Nous ne sommes pas croyants, le mariage à l’église n’était donc pas une option», explique la future jeune épouse. «Mais le plan “commune-resto et puis basta” nous semblait un peu limité dans l’autre sens», détaille Julien. «C’est en cherchant un peu que nous avons découvert le concept de “cérémonie laïque”.» Par définition, donc, une cérémonie laïque (mariage funérailles, parrainage…) est une cérémonie non religieuse, qui peut être célébrée lors de tous les grands événements de la vie. Elle n’est pas codifiée: chacun y met ce qu’il souhaite et organise son déroulement librement, construisant ainsi une célébration à son image. Juste un détail à ne jamais oublier: à l’instar d’un mariage religieux, une cérémonie laïque est dépourvue de valeur légale et ne revêt qu’une dimension spirituelle et symbolique. Un «oui», même très convaincant, devant Monsieur le Bourgmestre reste donc un passage obligé pour entériner une union aux yeux de la loi.

Une cérémonie laïque peut être célébrée lors de tous les grands événements de la vie. Chacun y met ce qu’il souhaite, construisant ainsi une célébration à son image.

Avec un principe immuable, selon Anne-Louise Van Nieuwenhuijsen, officiante lors de nombreuses cérémonies laïques depuis une quinzaine d’années: «Quel que soit le type de cérémonie, les gens doivent rester maîtres de celle-ci. Elle doit leur ressembler avant tout. Voilà pourquoi chacune des cérémonies au cours desquelles j’officie est différente.» Et c’est bien ce que les participants apprécient! «Lors d’un enterrement, un curé aura parfois tendance à se servir du même texte de base, et à plus ou moins l’adapter. Mais il recrée rarement chaque fois une situation “à la carte” comme je le fais.»

© Olivier Wiame«Officiant, mais pas psy!»

Quand elle a perdu son mari de manière inopinée, Monique était très désemparée. Par la perte de l’être cher surtout, et, ensuite, par le peu de perspectives qui s’offraient à elle pour lui dire au revoir. «Quand les pompes funèbres sont arrivées, elles m’ont proposé deux options: un enterrement à l’église, ou une crémation au cours de laquelle je pouvais choisir un morceau de musique, et rien d’autre. Heureusement, j’ai croisé une officiante laïque, qui m’a parlé de ces fameuses cérémonies. Même si le mot est mal choisi, je bénis cette rencontre, ajoute-t-elle en riant. De fait, c’est souvent le déficit d’information qui fait que trop peu de gens optent encore pour une cérémonie laïque», confirme Alice Botquin, directrice du CAL de Namur, province où sont célébrées de plus en plus de cérémonies laïques. Mais les choses changent, heureusement…

«On fait de plus en plus souvent appel à moi», confirme Anne-Louise Van Nieuwenhuijsen, qui officie tant pour les mariages que pour des parrainages. Mais surtout pour des funérailles. Elle tente une définition de ce type de cérémonie: «Toutes sont empreintes de solennité et d’engagement, et sont le reflet des valeurs promues par la laïcité. Elles sont toutes organisées dans le respect des convictions personnelles, des souhaits des intéressés, et ne font référence à aucun dogme.» À cette explication un brin académique, elle appose son propre vécu pour compléter son propos. «Quand je vais à la rencontre d’une famille touchée par un décès, je n’y vais jamais avec une tête… d’enterrement! Je suis en empathie avec les gens, mais pas en sympathie. Bref, je ne souffre pas avec eux et j’essaie de ne pas m’identifier. Même si les choses pourraient me toucher. J’ai par exemple une fille de trente ans. Et il va de soi que, quand je parle avec des gens qui ont perdu une fille du même âge, c’est difficile de ne pas imaginer comment je réagirais. Et puis, autre chose fondamentale: j’essaie bien entendu toujours de me montrer la moins intrusive possible. Quand on ne m’informe pas de la cause du décès, je ne cherche pas à savoir…», détaille-t-elle. Avant de se lancer dans la liste des principes laïques guidant son travail. «Si les circonstances d’un mariage et de funérailles ne sont bien entendu pas du tout les mêmes, la méthode, elle, ne doit pas différer. Elle est sous-tendue par cinq principes fondamentaux: le respect des libertés individuelles, le libre examen, l’implication, l’écoute, et le strict respect de la volonté des gens d’en dire le moins possible s’ils le souhaitent. Je ne suis ni psychologue ni pro de l’écoute. Et il ne s’agit bien entendu jamais de tirer les vers du nez des personnes à qui je fais face.»

«La manière n’y était pas»

Cela dit, il arrive que des «maîtres de cérémonie» soient moins doués que d’autres. C’est humain, même si cela ne fait pas l’affaire des familles. Certains, consciemment ou non, s’immiscent un peu trop dans la vie des gens. Il faut du tact pour ne pas heurter des familles en deuil surtout quand, comme dans le cas qu’on nous a relaté, le défunt est l’un de leurs enfants. La bonne volonté de l’officiant n’est pas en cause; c’est de la maladresse, mais elle est évidemment malvenue dans ce type d’occurrence. On voit cela dans les églises aussi, quand les curés se sont trop inspirés du Dom Balaguère d’Alphonse Daudet ou sont tellement rivés au texte de leur missel qu’ils en perdent toute sincérité. «Après un décès, forcément abrupt et très déstabilisant dans notre cas, les délais sont courts pour organiser une cérémonie. D’autant plus que l’on n’a bien évidemment pas la tête à ça», explique la maman. Le papa reprend: «Nous étions au courant de l’existence des cérémonies laïques. Mais nous n’avons pas trouvé la bonne personne. Cela partait, à mon avis, de quelque chose de louable, mais la manière n’y était pas.»

«La frontière entre la fonction et la tentation d’en faire trop peut effectivement être assez mince», reprend Anne-Louise. «Mais, si elle peut incomber à l’officiant qui déborde trop vite de son rôle, parfois, les familles, elles aussi, ne font plus trop la part des choses.» Et pour éviter toute collusion qui la ferait dépasser de son statut d’officiante, elle assène son credo de base: «Je ne reste jamais avec les gens après une cérémonie, quelle qu’elle soit! Si c’est un moment joyeux, du genre mariage, il arrive souvent qu’ils me proposent d’assister au cocktail ou à la fête qui suit. Je refuse à chaque fois! Je n’ai pas à recevoir de compliments au sujet de la cérémonie qui vient de se dérouler. C’est celle de la famille, et pas la mienne! Et dans le cas de funérailles, j’entends bien laisser la famille dans son intimité. Je n’ai rien à faire avec eux. Alors, oui, il arrive de temps en temps que certaines personnes demandent à ce que l’on se revoie ensuite. Si c’est lié à un “simple” besoin de parler de leur part, on prend rendez-vous et on discute. Mais si je constate que cela va plus profondément qu’une conversation, je les aiguille immédiatement vers un psy.»

«Un magnifique accomplissement personnel!»

Quelques exceptions confirmant la règle, par contre: «Il est déjà arrivé qu’un couple que j’ai marié me sollicite pour livrer un petit témoignage quant à la cérémonie qui s’est déroulée quelques années plus tôt, sous forme d’un petit reportage vidéo résumant leur mariage. Là, si c’est pour la bonne cause et que cela n’engage à rien d’autre, j’accepte généralement. De même, dans un registre nettement moins joyeux, il se peut qu’une famille où j’ai officié pour les funérailles d’un parent me sollicite lors du décès de l’autre. Dans ces cas-là, je me dis qu’ils ont apprécié mon travail. Et j’en tire bien entendu une certaine satisfaction. Je me sens utile et ouverte à ceux qui le souhaitent. C’est un magnifique accomplissement personnel.»

Rappelons à nos lecteurs que le terme «cérémonies laïques» est une «marque» déposée et qu’il s’agit toujours d’un service gratuit. Comme dans tant d’autres domaines, il convient de se méfier des contrefaçons!