Espace de libertés – Avril 2016

Une bulle dans l’air confiné des IPPJ


Dossier
Dans les institutions publiques de protection de la jeunesse, les jeunes placés peuvent faire appel à un conseiller laïque. Ces conseillers offrent leur soutien moral à des jeunes en grande difficulté. Ils garantissent la confidentialité totale de leurs échanges pour inspirer la confiance.

Le passage en institution publique de protection de la jeunesse (IPPJ) est un moment difficile pour les jeunes qui y sont placés après avoir commis des faits de délinquance. Ils sont coupés de leur milieu de vie, de leur famille, de leurs amis, pendant quelques jours ou quelques mois. Une rupture souvent douloureuse et parfois salvatrice pour des jeunes désœuvrés et sans repères. Le placement en IPPJ, c’est aussi le moment des doutes, des questionnements. De la réflexion sur «l’après» placement. Comme dans les prisons, les mineurs –qu’ils soient placés en section ouverte ou fermée– peuvent bénéficier d’une assistance philosophique et religieuse. Ils peuvent partager ces questionnements, déposer leurs craintes et leurs espoirs, auprès de ces personnages peu connus que sont les conseillers. Parmi ces derniers, les jeunes peuvent choisir l’assistance d’un conseiller laïque.

© Olivier WiamePartir du vécu des jeunes

C’est le jour de l’admission à l’IPPJ que le mineur doit choisir une option philosophique. Pour celui qui penche pour l’option laïque, cela impliquera de suivre des cours de morale. «Mais attention», précise Giuseppe Ricciardelli, conseiller laïque à Fraipont. «Cela ne fonctionne pas comme des cours de morale à l’école. Je vais plutôt partir de choses simples, une vidéo, une chanson, proches du vécu des jeunes, afin de libérer la parole.»

Car le but premier de ces cours n’est certainement pas de transmettre doctement le sens et l’histoire de la laïcité en Belgique, «qui n’est pas forcément un sujet qui va les intéresser», ajoute Nicolas Delporte, conseiller à Braine-le-Château. Ici, la laïcité est davantage considérée comme un socle de valeurs sur lequel s’appuyer pour communiquer avec les jeunes, la liberté d’expression, le libre choix, l’humanisme étant au cœur de la démarche. «Mais avec ces jeunes, il faut toujours partir du concret», explique Françoise Ligot, conseillère à l’IPPJ de Wauthier-Braine. «Le cours de morale permet de faire naître des projets de groupe où nous creuserons certaines difficultés, ou des demandes individuelles.»

L’objectif poursuivi par les conseillers est de permettre aux jeunes de tout dire, sans jugement, de partager leurs difficultés. Mais aussi de les remobiliser, de leur faire croire en eux-mêmes et de les responsabiliser. Françoise Ligot témoigne: «Les jeunes en IPPJ ont souvent une image déformée d’eux-mêmes. En leur donnant l’occasion de se décentrer, de participer à une action concrète, ils se découvrent des compétences. Certains se rendent compte qu’ils sont généreux, capables de faire des choses.» La conseillère de Wauthier-Braine évoque des projets comme la réalisation d’un journal ou d’une chanson, des rencontres avec des personnes handicapées, ou même des échanges au sujet de la notion de «victime» avec l’aide d’un service d’aide aux justiciables.

Les possibilités sont nombreuses et permettent de créer un lien avec le monde extérieur, lorsque cela est possible. «L’idée est de les repréparer à la réalité», témoigne Nicolas Delporte, qui aime pousser les jeunes vers des activités «dont ils ne se seraient pas crus capables». «J’ai par exemple proposé de faire du théâtre. Tous pensaient que c’était impossible. Y parvenir leur redonne un peu de confiance en eux, ce qui n’est pas évident, car la plupart sont extrêmement paumés. Tellement paumés qu’il est difficile de faire un travail de remise en question de leur propre attitude.»

Secret professionnel garanti

Souvent, les activités collectives ou les cours de morale, bien que centrés sur le principe d’une parole libre, sont contaminés par les postures des jeunes qui se savent épiés, voire jaugés, par leurs pairs. C’est ce que raconte Françoise Ligot: «En groupe, les jeunes vont plutôt se pavaner, se vanter sur les faits qui ont abouti à leur placement, mais c’est une attitude de surface.» C’est plutôt lors d’entretiens individuels que l’armure se craquelle, que les questions authentiques peuvent affleurer du chaos intérieur qui agite certains de ces jeunes.

Et, pour que cela fonctionne, les conseillers soulignent à l’envi que le caractère confidentiel des échanges est essentiel. «La clef pour créer la confiance avec le jeune, c’est le secret professionnel; je ne fais pas de rapport au juge. Je ne répète pas ce qui m’est dit aux éducateurs. Je ne suis pas mandaté», détaille Giuseppe Ricciardelli. Et Nicolas Delporte d’embrayer: «Contrairement aux autres intervenants de l’IPPJ dont le secret professionnel est partagé. Nous garantissons un secret professionnel complet. Cela évite la méfiance. Le jeune sait ainsi que ce qu’il dit restera entre lui et moi.»

Planter quelques graines

Les conseillers laïques pensent que le principal bénéfice que tirent les jeunes de l’assistance morale qu’ils leur prodiguent est de pouvoir trouver, quelques heures par semaine, un réel «espace de liberté» dans ce monde clos des IPPJ. Un espace où la parole est reine, où tous les thèmes pourront être abordés et, parfois, travaillés.

L’assistance morale peut être considérée comme une bulle d’oxygène pour ces jeunes, même si l’impact de ces interventions est difficile à quantifier. Souvent, la sortie de l’IPPJ rime avec récidive, ou dégringolade sociale. «À la sortie, les jeunes retrouvent le même environnement social, le même système familial», regrette Nicolas Delporte. Un trop plein de difficultés auquel les conseillers ne peuvent pas grand-chose. C’est une fatalité à laquelle il faut s’habituer, comme le fait Giuseppe Ricciardelli: «Aujourd’hui, je ne me dis plus ‘’notre boulot, c’est de sauver ces jeunes ou de les réinsérer’’. Ces gamins sont souvent très abîmés par la vie. Alors si nous plantons quelque part une petite graine qui, un jour, pourra éclore, c’est déjà bien.» Même son de cloche chez Françoise Ligot, qui pense que «ce mode de réflexion que les conseillers proposent, cette action concrète tournée vers la responsabilisation du jeune, peut faire ‘’tilt’’ immédiatement chez lui. Ou dans cinq ans, ou jamais.»

En attendant, l’assistance morale tente d’infléchir, au moins partiellement, les trajectoires qu’empruntent certains jeunes. Nicolas Delporte leur rappelle toujours que le temps passé en IPPJ pourrait leur être utile: «Je leur dis qu’ils peuvent mobiliser ce temps pour imaginer des projets à mener à l’extérieur. Qu’il existe des offres pour eux, du soutien, qu’ils pourraient le mettre à profit, le voir comme une chance.» Une parole de conseillers qui, à tout le moins, peuvent procurer un peu d’apaisement.