L’assistance morale en prison constitue l’un des aspects les plus délicats de cette activité. On sait qu’en général, la geôle est criminogène par essence: la mission des conseillers moraux dans la perspective d’enrayer le cycle infernal de la récidive est par conséquent aussi difficile que son succès est réconfortant. Un ancien détenu à la prison de Nivelles témoigne…
Espace de Libertés: Comment s’est passée votre première rencontre avec un conseiller moral?
Je m’en rappelle très exactement. C’était en rentrant de l’atelier, j’ai vu une dame devant la cellule d’un voisin. Elle ne faisait pas «style» avec le bâtiment. Et donc, ça m’avait un peu intrigué. Arrivé au préau, j’ai demandé à mon ami de qui il s’agissait. Un avocat? «Non, une assistante morale. Elle s’appelle Anne». L’assistance morale, à quoi cela pouvait bien servir? «Elle vient parler dans ta cellule, elle parle avec toi.» Il fallait que j’essaie cela. Tout ce qu’on peut faire ici, en prison, pour faire passer le temps, j’essaie d’y accéder. La première fois, comme elle n’avait pas de local, elle est venue dans ma cellule et là, je lui ai demandé ce qu’elle faisait là. Car personne ne veut venir en prison. Elle m’a expliqué ce qu’était la laïcité, ses objectifs… Que l’assistance morale était un soutien pour les gens qui craquent, qu’il fallait forcément être demandeur. Je trouvais ça bien quand même. Peut-être pas le premier jour, car en la voyant sortir, je me suis dit: «Encore une tarée!» C’est dur, la prison. N’importe qui ne vient pas en cellule, comme ça, s’asseoir et discuter avec un inconnu.
En prison, il y a quand même des aumôniers. Vous n’avez pas fait le rapprochement?
Non. Les aumôniers, les imams, ce sont des représentants de cultes et donc je n’y vais pas. Et après, qu’avons-nous comme autres formes de soutien? À Nivelles, il y a la Touline (1). C’est pour quelqu’un qui veut une guidance, du soutien… Ça ne suit pas, car ils sont trop surchargés et ils n’ont pas le cœur à écouter. Ce que je n’ai pas rencontré avec Madame Anne.
Et donc le dialogue s’est installé.
Magnifiquement. Au début, vous savez, c’est la prison. On se dit que c’est une balance; que tout ce qu’on dit ici ne va pas rester entre nous. Honnêtement, je suis resté deux ans et jamais rien n’a fuité. J’ai souvent eu l’occasion de la croiser dans les couloirs et elle était sympa. Et puis ça soulage d’en parler. Car quand vous restez là à ressasser… On discute avec les autres détenus qui ont, eux aussi, des problèmes, mais ce sont souvent des discussions qui ne vont pas dans le fond de ce qu’on pense vraiment. Alors que Anne, elle donne de son temps.
Cela ne fait pas de différence que ce soit une femme ou un homme qui vous écoute?
Cela fait une différence. En tout cas pour moi, Africain. On a toujours ce côté maternel. Parce qu’elle en apprend sur moi, mais j’en apprends aussi sur elle, c’est un échange. C’est vraiment ce qui m’a plu, car on peut craquer en prison. Mais j’essayais aussi de la protéger à la fin.
Elle en avait besoin?
Non, elle n’en avait pas besoin. Mais selon mon regard de taulard, elle en faisait trop. Un jour, une dame plus âgée est venue pour faire aussi de l’assistance morale, pour faire un «stage». Mais en la voyant arriver, j’ai su que ça n’irait pas. Tout le monde ne peut pas rentrer en cellule avec quelqu’un.
Comment se passe le dialogue? C’est vous qui posez des questions?
Ça va tout seul. Au début, on est un peu gêné, on ne se connaît pas. Ça dépend aussi de la personne en face. Madame Anne a «quelque chose». Je ne sais pas qui les forme, mais elle est formée à la politesse, à l’échange de bons procédés, à la courtoisie… Des choses basiques, mais qui sont importantes pour les gens qui sont mis à l’écart de la société. À part la visite de la famille, des gens de la prison, des assistants sociaux qui font ce qu’ils peuvent. L’assistante morale ne promet rien, mais elle permet un échange. L’exemple que j’ai eu, moi, c’est que quand j’avais du café, je lui en faisais un. Quand je n’en avais pas, elle retournait et elle m’en amenait. Je savais bien que ce n’était pas la personne qui allait remplir mon frigo, ce n’était pas son rôle. Mais c’est à cela qu’il faut être attentif avec les assistants moraux. Parce qu’en prison, des gens à consoler, il y en a plein et quelqu’un d’un peu fragile et pas assez préparé peut vouloir consoler la personne par un moyen ou un autre. Mais ça ne serait pas correct, et cela ne serait pas de sa faute, car elle serait partie dans une empathie. C’est un travail utile, mais difficile parce que la conseillère morale ne va pas ramener du shit, elle ne va pas prêter son téléphone pour que tu appelles…
Les distances sont mises. Le cadre est clair.
En tout cas, avec celle que j’ai eue, moi, c’était logique. Il ne fallait de toute façon même pas essayer. Ce qu’on pouvait avoir c’était des biscuits, du café, de l’écoute… Parce que c’était une amie que l’on retrouvait.
Cela vous a aidé pour faire le point par rapport à vous-même?
Absolument. Parce qu’elle représente l’extérieur, en tout cas pour moi. Elle ne représente pas la prison. C’est un être humain qui vient s’asseoir, qui vient demander comment vous allez…
Ce n’est pas une autorité.
Il n’y avait rien de forcé, d’obligé. Tout ça ouvre à d’autres choses, comme des ateliers philo qui sont très bien.
Ça se passe comment?
C’est dans un local surveillé. Celui qui veut venir a un rapport à remettre en disant «Je suis intéressé par l’atelier philo de tel jour» et en fonction des demandes, on se retrouve en petit groupe de 8, 10 maximum. On lance des thèmes et l’on en discute, chacun à sa vitesse, à sa manière. Il y a aussi des jeux de rôle pour se resocialiser. C’est important, car quand on sort, on est toujours en prison. On ne sort jamais vraiment de la prison.
Vous avez gardé contact?
Absolument. Ce n’est plus aussi intense qu’au début, mais à Noël, aux anniversaires… C’est quelqu’un qui compte, pour finir.
Est-ce que vous avez l’impression que le fait que vous avez eu ce contact pendant que vous étiez en prison vous a aidé à ne pas replonger ou à vous reconstruire?
Cela m’a aidé à ne pas replonger, c’est sûr! Je n’avais pas envie de décevoir une personne supplémentaire. Je dis merci pour tout ce que font les laïques. Mais si j’ai un conseil à donner, il faut bien former les conseillers moraux, parce que leur mission est très importante.
(1) Service d’aide sociale aux justiciables de l’arrondissement judicaire de Nivelles.