Espace de libertés | Octobre 2018 (n° 472)

Culture

Ils sont bruxellois, d’origine turque, syrienne, marocaine, polonaise, italienne. Ils ont chacun suivi une formation de guide et racontent un quartier qu’ils font découvrir à d’autres Bruxellois qui ne le connaissent pas pour en montrer les coins inédits ou inconnus. Récit d’une balade avec un « zinneguide »1 entre Anderlecht et Molenbeek.


Susciter la rencontre avec les habitants multiculturels, qui eux aussi font l’histoire de la ville, c’est l’un des objectifs poursuivis par John Van Den Plas, initiateur des toutes jeunes zinnebalades, un projet qui lui ressemble: «Je me définis comme un Africain habitant Bruxelles. J’ai grandi entre Kinshasa et Bruxelles, mon père est à moitié rwandais. C’est ce métissage qui fait la richesse de Bruxelles. Et je voulais, à travers ces balades guidées, permettre aux gens qui ont ces parcours de mixité de se raconter, de se rencontrer et d’aller dans des quartiers qu’ils ne connaissent parfois pas du tout. D’où le nom de zinneguides.» John Van Den Plas est un passionné de rencontres, de cultures. Diplômé en tourisme, il a ensuite suivi un master en anthropologie, et travaille notamment avec des ONG sur la façon dont leur travail est perçu en Afrique. L’initiative des zinneguides est à l’image de ce goût des mélanges: mélange d’origines, de cultures, d’époques, entre le passé du guide, son histoire personnelle et son ancrage dans une ville qui fonde son identité sur le mélange.

Molenbeek, entre canal et passé industriel

Le premier rendez-vous a lieu un chaud samedi de juin dans le quartier Heyvaert à Molenbeek, riche de son passé industriel, de son histoire, de ses habitants métissés et d’une foule d’initiatives citoyennes. On s’arrête place de la Duchesse où l’on se souvient – photos à l’appui – de l’ancien marché aux chevaux. Évocation du canal tout proche et de l’Angleterre de la révolution industrielle. Le voyage dans le temps cède la place à un parcours plus intime: Guiseppe, le guide du jour, d’origine italienne, nous raconte son histoire, qui s’inscrit en filigrane de celles de tant d’autres avec des grands-parents arrivés à Bruxelles après la guerre. Nous écoutons notre zinneguide raconter ses souvenirs d’enfance, évoquer ce grand-père venu de Sicile, attiré par l’activité industrielle du canal. On s’arrête devant le bâtiment qui abritait la sucrerie Kraft, et on évoque le géant du sucre, Allemand immigré à Bruxelles, lui aussi… Aujourd’hui, le bâtiment accueille Charleroi Danse.

Des grillades nigériennes à l’atelier bois

Une fois le canal passé, ce ne sont plus les bâtiments dont on raconte le glorieux passé, mais des habitants que l’on rencontre et qui se racontent. Prochaine étape: un restaurant nigérien. Devant un immense comptoir où les grillades embaument, le patron raconte son parcours. Fait goûter quelques spécialités, des bananes plantains, mais aussi des piments. Il insiste: ici, c’est la plus grande concentration africaine de Bruxelles, la vraie vie, le travail. Matonge? Un quartier de sorties, de restaurants, de musique… Toute la rue s’étire ensuite entre les garages d’import/export, qui se sont installés quand les commerces en viande, proches des abattoirs, ont fermé. Le quartier est très pauvre. Mais tout le monde se connaît, s’entraide. On s’arrête devant une grande fresque, à laquelle travaillent des jeunes, des enfants. C’est le collectif AuQuai qui a décidé d’organiser des animations autour de la biodiversité. Les fleurs multicolores illuminent un mur. Plus loin, c’est un atelier de réparation de bois, ouvert à tous.

Des rendez-vous insolites

Pari réussi pour cette première zinnebalade, que l’on quitte avec des sons, des odeurs et des couleurs plein la tête. La balade a été un véritable parcours entre histoire, cultures et populations. Avec de vrais échanges. Entre Belges, immigrés, passionnés, femmes, hommes, bénévoles, enfants, voisins. «Il y aura d’autres zinnebalades», explique l’initiateur du projet. «À Saint Gilles, Saint Josse, Etterbeek, dans les Marolles, le quartier Dansaert…» entre autres. Et toujours, pour fil rouge, le plaisir d’un guide issu de l’immigration à raconter et à faire découvrir son quartier. D’ailleurs le guide est joliment défini par John Van Den Plas comme un «passeur de culture».


1 En brusseleir, un zinneke est un animal ou une personne d’origine mélangée, NDLR.