Espace de libertés – Décembre 2014

« Vous ne voulez pas du progrès? Vous aurez les révolutions! »


École

Ainsi parlait Victor Hugo en conclusion de son célèbre discours à l’Assemblée nationale lors du débat sur la loi Falloux régissant l’école.


Des millions de pages ont été noircies à propos de l’école, sans que le progrès ne se dessine réellement. Il faut dire que les débats sur l’école s’articulent, en général, sur les aspects structurels ou organisationnels: les querelles de réseaux, les bâtiments, la remédiation, le redoublement, le financement, la carte scolaire en France ou le décret inscriptions en Belgique, l’admissibilité des signes distinctifs d’obédience religieuse, etc. On se agelle ou s’esbaudit chaque année lors de la parution des résultats de l’étude PISA, censée dire quels sont les pays ou régions qui ont l’enseignement le plus performant. Selon les critères de l’OCDE, faut-il le préciser, dont le but n’est pas précisément l’épanouissement et l’autonomisation des enfants… Hélas, trois fois hélas, le débat vraiment intéressant reste pudiquement caché au fond d’un casier du préau dont on a perdu la clé. Lequel, dites-vous, haletant? Celui du projet pédagogique, celui des programmes, celui des objectifs poursuivis par l’enseignement.

Les programmes que l’on propose à nos enfants aujourd’hui ne semblent évoluer qu’en fonction des demandes du « marché du travail ». Comme si on pouvait prédire ce que sera ce marché quand les élèves sortiront de l’école… De qui se moque-t-on? On ne forme plus des citoyens mais des robots.

On pourrait passer du temps à relever tout ce qui cloche dans l’enseignement actuel, où l’on s’obstine encore à enseigner l’histoire selon une vision politique (rois, empires, guerres) alors qu’une approche basée sur la culture, par exemple, donne une bien meilleure vision de l’évolution de la civilisation. En écoutant parler les jeunes et moins jeunes, on peut se demander dans quelle mesure le cours de français tel qu’il est enseigné ne constitue pas une énorme perte de temps. Les mathématiques ont leur utilité: elles permettent à des professeurs mal payés de donner des cours particuliers tout au long de l’année à des élèves déboussolés par le décalage entre la matière du cours et l’usage auquel il est destiné dans la « vraie vie ». Et ainsi de suite.

Or, qu’en est-il de l’éducation à l’autonomie, à la réflexion, à la pensée, à l’audace, à l’histoire des grandes idées, à la philosophie, à l’art?

Qu’attend-on pour introduire un cours d’éducation aux médias, indispensable si l’on veut que nos enfants sachent repérer les sources ables, décoder la désinformation, la propagande, la publicité, afin de développer l’esprit critique et l’analyse personnelle?

Qu’attend-on pour lancer un cours sur le développement soutenable (ou durable), expliquant l’importance de la complémentarité des trois piliers économique, environnemental et social pour que les élèves y puisent une nouvelle conception du sens de la vie sur terre et de la notion de bon- heur?

Qu’attend-on pour enseigner les bases de l’économie, qui régit notre société de A à Z, afin de donner aux enfants des clés pour comprendre les enjeux qui l’attendent?

Qu’attend-on pour éduquer à la chose politique, à la vie sexuelle et affective, à la philosophie, pour former des citoyens responsables de leurs actes, de leurs choix, respectueux des autres et d’eux-mêmes et accessibles aux notions et concepts qui sous-tendent la pensée humaine?

Qu’attend-on pour enseigner aux enfants que la nourriture est une composante à part entière de la culture et de commencer par celle que l’on sert dans les cantines scolaires?

Rien, ou pas grand-chose de tout cela ne gure dans les programmes scolaires actuels, ou alors, juste en évocation. La citation d’Hugo ne fait que préfigurer ce que mettrons plus tard en œuvre Ferrer, Montessori, Freinet et Decroly. Des visionnaires, que nos très conservateurs responsables de l’enseignement obligatoire ignorent superbement du haut du doctrinal « programme » traditionnel auquel ils s’accrochent comme des naufragés à un éclat de mât. Un fluctuat qui ne fait qu’anticiper l’inéluctable mergitur de l’éducation des générations futures.