Espace de libertés – Décembre 2014

Alors qu’un nombre croissant d’habitants du pays risquent de passer sous le seuil de pauvreté, les initiatives se multiplient pour faire ouvrir plus grands les yeux aux pouvoirs publics et aux citoyens. Que ce soit dans les rues, sur le web et même dans la littérature, la sensibilisation poursuit partout le même objectif: déterrer ces pauvres que l’on ne voudrait pourtant pas voir.


L’Observatoire de la santé et du social a sorti ses chiffres en octobre dernier en matière de pauvreté en région bruxelloise. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils sont alarmants. En résumé, tous les indicateurs de pauvreté indiquent qu’un nombre important de Bruxellois vit dans une situation difficile. Puisqu’approximativement un tiers des Bruxellois survit avec un revenu inférieur au seuil de risque de pauvreté. Qu’un cinquième de la population bruxelloise d’âge actif perçoit une allocation d’aide sociale ou de chômage. Et que près de cinq pour cent de la population d’âge actif y perçoit un revenu d’intégration sociale ou équivalent, ce pourcentage étant encore deux fois plus élevé parmi les jeunes adultes.

La pauvreté est une injustice criante surtout à une époque, où les richesses n’ont jamais été aussi importantes.

20% de pauvres

Dernier constat, mais pas le moins alarmant: les enfants qui naissent dans un ménage sans revenu du travail, connaissent 1,5 fois plus de risque de décéder avant l’âge d’un an que les enfants évoluant dans un ménage à deux revenus. « Mais ce phénomène touche aussi les autres régions, et frappe notamment la Wallonie de plein fouet. Où les chiffres ne sont pas plus réjouissants », nous explique-t-on du côté du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté, organisme qui interpelle régulièrement les politiques au sujet de la précarité en Wallonie. En bref, 20% des Wallons vivraient sous le seuil de pauvreté, tandis que plus de la moitié des familles monoparentales percevraient un revenu jugé « insuffisant pour s’en sortir valablement ».

Il est donc grand temps d’agir, et de toutes les manières possibles. Ainsi, le Forum bruxellois de lutte contre la pauvreté a produit un web-documentaire sur la mendicité, qui résulte de mois d’enquête, de près de 50 interviews et de milliers de photos. Celui-ci repose sérieusement le débat sur la mendicité en milieu urbain. Son titre, « Salauds de pauvres! », selon la formule rendue célèbre par Jean Gabin, résume à lui seul l’ensemble des clichés qui courent sur les sans-le-sou. Des fainéants qui mériteraient ce qui leur arrive. Et qui voudraient en plus qu’on s’apitoie sur leur sort. Parmi eux, les mendiants sont les plus dérangeants. Alors, en Région bruxelloise comme ailleurs, les bourgmestres décident de sanctionner la mendicité, pourtant admise par la loi. Les communes, de gauche comme de droite, la règlementent, l’éloignent, la dissimulent. Mais, au coin de chaque rue, l’extrême pauvreté continue à questionner notre quotidien.

« Ce que nous voulons, à travers ce projet transmédia, c’est documenter une problématique sociale qui est trop rarement abordée. En effet, en Belgique, les chercheurs et les associations de lutte contre la pauvreté semblent s’être parfois désintéressés de cette thématique de la mendicité », expliquent les deux concepteurs du programme. « Après Liège et Bruges, c’est Gand, Etterbeek, Charleroi, Andenne et, tout récemment, Namur, qui ont adopté des règlements anti-mendicité. Et à l’instar de la France, la Belgique semble faire un retour en arrière, vers la répression et la criminalisation de la pauvreté. D’où notre titre, volontairement provocateur. » Très documenté sans pour autant délaisser l’aspect humain des choses, ce « webdoc » allie brillamment le fond (très abondant et précis) et la forme (car le sujet n’interdit pas d’être esthétique!), tout en questionnant le spectateur sur les façons d’agir.

La pauvreté est une injustice criante en Wallonie, en Belgique, en Europe, et dans le monde.

Et, dans le sud du pays, c’est dans l’espace public bien réel, et non plus virtuel, que s’est tenue, le 17 octobre dernier, la « journée de lutte contre la pauvreté », à l’initiative du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP). Au programme: 17 actions dans 17 lieux, en compagnie d’élus et de membres de la société civile. Avec films, documentaires, pièce de théâtre, ateliers, séminaires et débats. Ensuite, tout ce petit monde a battu le pavé et les clichés. Pour des prises de paroles fortes de militants ainsi qu’un cortège ponctué d’interpellations devant des agences d’intérim, des banques, ou encore devant le Parlement wallon.

Exclus du système social

« Cette mobilisation, suite à notre invitation, prouve que de plus en plus de gens sont concernés », explique cette militante. « Nous vivons, aujourd’hui, une situation très préoccupante, voire carrément inédite. Où même des ménages avec deux conjoints qui travaillent n’arrivent plus à lier les deux bouts. Alors, quand l’un d’eux, voire les deux, se retrouve sans emploi, je ne vous dis pas la galère. Je suis concernée, et je me sens injustement considérée comme une pestiférée. » Car, comme le précise le RWLP: « La pauvreté est une injustice criante en Wallonie, en Belgique, en Europe, et dans le monde. Surtout à une époque où les richesses, matérielles et immatérielles, n’ont jamais été aussi importantes. Toutefois, force est de constater que celles-ci n’ont jamais été autant concentrées dans les mains d’une petite communauté, et ce, au détriment du plus grand nombre. Lutter contre la pauvreté nécessite donc que les pouvoirs publics s’intéressent aux richesses et à leurs usages au bénéfice de tous. La pauvreté n’est pas une fatalité. C’est une conséquence de cet usage inégalitaire de l’accès aux richesses pour tous. C’est aussi une conséquence du déficit des politiques structurelles ou de l’inadéquation, voire du décalage, de celles-ci par rapport à la réalité vécue par les populations. C’est, enfin, une conséquence du capitalisme débridé. Conduisant à une privatisation croissante de services et de biens, qui devraient pourtant être considérés comme des biens communs. »

Parce que si la Belgique est souvent citée en exemple pour son système social en général, elle recèle aussi de milliers de cas particuliers qui sont de plus en plus souvent exclus de ce système. Et ces mobilisations de divers ordres doivent interpeller, sans répit, les pouvoirs politiques. Afin que la sensibilisation mène finalement à l’action. Et à la remise à flot de ces vagues de « salauds de pauvres ».