Espace de libertés – Décembre 2014

À l’instar de bien d’autres fêtes de Noël, le Noël danois est une tradition complexe mêlant rites païens, coutumes chrétiennes, symboles capitalistes et rituels relevant du folklore familial. Raison pour laquelle vous obtiendrez des réponses différentes si vous demandez à deux Danois de vous expliquer les traditions de Noël de leur pays.


La tradition chrétienne de Noël s’est implantée au Danemark avec la diffusion du christianisme en Scandinavie. Elle a été influencée par le yule ou jol, fête païenne célébrant le solstice d’hiver –le retour de la lumière– en référence à la roue (hjul) marquant le début du rallongement des jours. En danois, Noël se dit d’ailleurs toujours yul, mais c’est à peu près tout ce qu’il reste de cette ancienne fête païenne marquant le solstice. Comme dans beaucoup d’autres pays luthériens, Noël commence officiellement le quatrième dimanche de l’Avent, c’est-à-dire avant le 24 décembre. Le 24 décembre n’a été déclaré « jour saint » qu’en 1992, même si depuis plus d’un siècle, les Danois fêtent Noël ce jour-là et non le 25 décembre, histoire de profiter, avant tout le monde, du message de joie de Noël.

Le Noël danois est une tradition complexe mêlant rites païens, coutumes chrétiennes, symboles capitalistes et rituels relevant du folklore familial.

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Ce conte de Noël danois est aussi l’histoire des Noëls de mon enfance. J’écris ces lignes alors que les chants traditionnels résonnent, me rappelant mes jeunes années, cette époque bénie où Noël avait pour moi quelque chose de vraiment magique. La couronne de l’Avent me revient immédiatement à l’esprit. Une couronne dont les quatre bougies symbolisent les quatre dimanches de l’Avent. Une nouvelle bougie est allumée chaque dimanche qui précède la veille de Noël. Ces jours-là, certains enfants découvrent un cadeau dans leur soulier. J’enviais toujours mes amis qui étaient somptueusement gâtés ces dimanches-là –rollers, cassettes VHS ou tout autre gadget dont pouvait rêver un enfant des années 90. En revanche, chaque matin de décembre, ma sœur et moi nous recevions une babiole dans nos bas de Noël –un petit morceau de chocolat ou un cochon en massepain. Même si cela ne faisait pas de nous des victimes du capitalisme, je me souviens vaguement avoir eu droit à quelques visites chez le dentiste de l’école pendant ces années. Cet enchantement prit pourtant fin brusquement quand j’eus l’âge de comprendre que ce n’était pas le père Noël qui apportait ces friandises. Mettre la main sur l’armoire qui abritait ces trésors fut l’un de mes plus grands exploits, même si mon père me menaça de me priver de cette friandise quotidienne.

Les traditions se perpétuent jusqu’au moment où on les change ou qu’on en instaure de nouvelles

Aujourd’hui, les bougies ne symbolisent plus uniquement les quatre dimanches de l’Avent. Entre le 1er et le 24 décembre, nous allumons aussi des bougies de l’Avent (des bougies graduées) que l’on fait se consumer pour marquer les jours qui passent et nous rapprochent de Noël. Ces bougies sont les plus souvent piquées sur un support d’argile décoré de branches de sapin et de guirlandes. On ne dérogeait pas à cette tradition dans ma famille. Mais aujourd’hui, les familles modernes qui ne se retrouvent à la maison que le soir ont du mal à respecter cette tradition au quotidien. Alors, elles profitent des week-ends pour se rattraper et faire brûler la bougie jusqu’à la date du jour. Les bougies sont également à l’honneur lors la fête de la Sainte-Lucie célébrée par les écoliers. Sainte-Lucie est fêtée le 13 décembre, dans la plupart des écoles du pays. La jeune « Lucie » du jour est coiffée d’une couronne décorée de bougies allumées. Derrière elle, les autres enfants défilent en procession, une bougie à la main. Ils chantent la chanson de Lucie et distribuent des tortillons aux raisins.

Les calendriers de l’Avent symbolisent également les jours qui nous séparent du 24 décembre. Tout enfant digne de ce nom en possède au moins deux. Moi, je m’arrangeais toujours pour en avoir quatre. Deux garnis de chocolats et deux autres des grandes séries télévisées de l’Avent. Et aujourd’hui encore, je suis fier de dire que je m’achète toujours au moins deux calendriers. Chaque jour, on ouvre une petite fenêtre et l’on trouve un chocolat, une figurine ou un symbole de l’épisode du jour sur Noël. En décembre, ces émissions quotidiennes occupent les enfants et parfois même les parents une bonne partie de la soirée. Esprit de Noël oblige, l’argent récolté grâce à la vente des calendriers de ces émissions télévisées est reversé à une bonne œuvre. Les timbres de Noël, nés au Danemark, relèvent du même esprit. Ces timbres spéciaux sont vendus pendant la période de Noël. Les bénéfices de ces ventes sont utilisés pour nancer le fonds « Julemærkehjemmene » qui vient en aide aux écoliers défavorisés. Ma grand-mère défunte nous achetait toujours un feuillet de timbres de Noël à ma sœur et à moi. Et dans la maison de mes parents, il y a toujours mon classeur plein de feuillets de timbres de Noël; ils me rappellent ma grand-mère chaque fois que je les regarde.

Danse autour du sapin

Quand arrive en n le 24 décembre, nous chantons toute la journée des classiques de Noël. On joue aussi des tubes de Wham, Slade et Brenda Lee. Certaines familles se rendent à l’église, l’après-midi, pour entendre le message d’amour des prêtres. Un message diffusé également par les diverses organisations qui, tout au long du mois de décembre, distribuent des colis de Noël avec de la nourriture et des cartes-cadeaux aux nombreuses familles qui ne pourraient pas acheter des cadeaux de Noël ou préparer un repas de fête sans la générosité de leurs concitoyens. Le 24 décembre, le sapin de Noël est à l’honneur. Les présents sont disposés au pied du sapin et les enfants en profitent pour les regarder en rêvant ou les tâter quand personne ne les observe. Dans ma famille, on attendait le 24 décembre pour décorer le sapin. Les décorations sont tantôt anciennes, tantôt nouvelles et parfois très laides mais l’on trouvera toujours sur notre sapin de Noël, des boules de verre, des cônes et autres cœurs en papier. On y ajoute aussi de petites trompettes, des tambours et des banderoles de Dannebrog, le drapeau national danois. Un rite très innocent à première vue mais il faut savoir qu’il remonte en fait à une tradition militaire nationaliste qui s’est répandue au lendemain de la guerre de 1864 suite à laquelle le pays a dû céder le Jutland-du-Sud. L’étoile de Bethleem est accrochée au sommet du sapin décoré aussi de petites bougies.

La tradition de l’arbre de Noël et de sa décoration nous vient d’Allemagne. En revanche, danser autour du sapin après un bon repas de Noël est une tradition typiquement danoise. C’est l’une des traditions dont je me passerais volontiers. Personne n’apprécie de faire de l’exercice après un dîner et encore moins après le repas de Noël… Enfant, je n’avais pas beaucoup de patience et même aujourd’hui, j’ai dû mal à attendre le moment de l’ouverture des cadeaux, après la traditionnelle danse autour du sapin. Le ventre bien rempli, nous nous mettons en cercle autour de l’arbre et chantons des chants de Noël. Le rythme –lent ou rapide (au point de courir)– est fonction de la chanson. Ça me fait toujours rire de voir que personne n’arrive à se rappeler des paroles; je me retiens de sourire en regardant les autres essayer de (re)trouver leur âme de chanteur. Lorsque vient le moment de s’offrir les cadeaux, comme je suis le plus jeune, je vais les chercher, un à la fois, et ma sœur lit la petite étiquette qui y est accrochée. La tension est à son comble: il faut tenir bon jusqu’à ce que le dernier ait été distribué avant de pouvoir se jeter sur sa pile de cadeaux qui n’arrête pas de grandir. Habituellement, lorsque les cadeaux ont été distribués, minuit est sur le point de sonner et les invités sont déjà en route. Même si Noël continue officiellement encore quelques jours, le 24 décembre est l’apothéose de cette période. Je finis par me dire que ces vieilles traditions sont bien agréables mais j’ai quand même l’impression que chaque Noël est toujours un peu différent. Et c’est normal bien sûr, car les traditions se perpétuent jusqu’au moment où on les change ou qu’on en instaure de nouvelles!