Espace de libertés – Décembre 2014

Hanoukka, l’éternel combat de la lumière


Dossier

Alors que les jours deviennent de plus en plus courts et que la lumière se fait rare, les Juifs du monde entier se préparent à allumer les bougies de la « hanoukiya » pour faire reculer les ténèbres et célébrer le miracle de Hanoukka.


D’après des enquêtes récentes, cette « fête des lumières » serait l’une des plus observée dans les communautés juives de diaspora. Cela n’a pas toujours été le cas: en quelques décennies, la célébration de Hanoukka a évolué et d’une fête mineure, a accédé au statut de fête majeure, notamment en raison de la pression qu’exerce Noël sur les familles juives qui vivent dans des pays à tradition chrétienne.

Si le phénomène a débuté aux États- Unis, il se répand de plus en plus en Europe où il n’est plus rare de voir des familles décorer leur Hanoukka tree (sapin de Hanoukka) et distribuer jouets et cadeaux à la place des traditionnelles petites pièces ou Hanoukka gelt. Dans des pays où les fêtes de fin d’année jouent un rôle social important, l’évolution du statut de Hanoukka permet aux communautés juives d’affirmer leur culture et leur héritage tout en luttant contre l’assimilation.

Plantons un peu le décor…

Après des siècles de domination de différents peuples étrangers et après le partage de l’immense empire d’Alexandre le Grand, ce sont les Séleucides qui règnent sur Sion.

En -175 arrive au pouvoir Antiochus IV (nommé Épiphane) qui opte pour une nouvelle politique. Il cherche à réunir toutes les nations placées sous son pouvoir en un seul peuple, et, pour cela, il interdit la pratique des commandements de la Torah aux Juifs et veut leur faire adopter les coutumes grecques par la force.

Hanoukka est une fête de libération nationale qui inclut la liberté religieuse, mais ne se limite pas à elle. Cette confusion des libertés provient du fait que, dans le monde antique, il n’y avait pas de délimitation claire entre la religion et le reste de la culture. La religion était si profondément ancrée dans la vie quotidienne et politique que celui qui voulait essayer de supprimer un groupe ethnique n’avait qu’à s’en prendre à sa religion pour le détruire. Depuis le règne d’Alexandre le Grand, tous les pays du Moyen-Orient ont subi l’influence de la culture grecque appelée aussi culture hellénistique. Les peuples de la région s’efforcent d’imiter les mœurs de leurs dirigeants et certains s’assimilent totalement et disparaissent en tant qu’entités nationales.

Du côté juif, la situation n’est pas si tranchée. D’une part, il y a l’aristocratie juive de Judée qui avait embrassé avec empressement les coutumes hellénistiques qui glorifiaient la beauté, l’art, la tragédie, l’athlétisme et la nature. De l’autre côté, il y a le reste du peuple juif, les petits artisans, les paysans et les travailleurs pauvres qui formaient la majorité de la population de l’époque. C’est de ce milieu rural et des classes moyennes ou défavorisées que surgit un nouveau mouvement national qui refusait l’assimilation.

Antiochus, voulant assurer l’hégémonie grecque, promulgue plusieurs édits lorsqu’il constate qu’une grande partie des Juifs n’adoptait pas spontanément la culture grecque. Les Juifs qui ne se soumettent pas sont persécutés. La révolte gronde et la résistance s’organise. Des fugitifs quittent les villes pour se réfugier dans le désert de Judée et mettent sur pied un mouvement de rébellion. Le foyer de la révolte se trouve à Modi’in où Mattathias et ses fils (les Hasmonéens) refusent de se soumettre aux édits et combattent les hommes du Roi. Ces révoltés, appelés les Maccabées, prennent le maquis dans les montagnes de Judée et mènent des actions de guérilla contre l’autorité séleucide et les hellénisants.

Après la mort de Mattathias, c’est son ls, Juda Maccabée, qui dirige la révolte. Celle-ci s’organise et, malgré le déséquilibre des forces en présence, réussit à prendre le contrôle de la Judée ainsi que de Jérusalem. En 164 avant notre ère, Shimon, le dernier fils de Mattathias, prend le commandement, chasse les troupes occupantes et rend à la Judée son indépendance. Le temple est alors purifié et restauré.

La reconquête de Jérusalem, de la menorah à la khanoukiya

À leur entrée dans le temple de Jérusalem, les Maccabim le trouvent dévasté. Les Grecs avaient profané toute l’huile sainte servant à alimenter le chandelier à sept branches, la menorah, qui devint plus tard le symbole principal du judaïsme. Ils ne trouvèrent qu’une seule fiole d’huile marquée du sceau du Grand Prêtre. Une quantité d’huile si réduite ne pouvait suffire à l’éclairage de la menorah que pour une seule journée. C’est alors que se produisit un « miracle »: de cette huile, la lumière se perpétua huit jours. Voilà pourquoi Hanoukka s’appelle aussi, Hag Hanissim, la fête des miracles.

Lors de la ré-inauguration du temple, Juda institua la fête de Hanoukka (signifiant « inauguration »), en mémoire de ce miracle. On fabriqua alors une menorah spécifique pour Hanoukka, comportant neuf branches (huit pour les jours de la fête et une pour allumer les autres), qu’on appela la hanoukiya. Naturellement, Hanoukka devint aussi la fête des lumières et s’appelle donc aussi Hag ha-Ourim.

Hanoukka est non seulement l’occasion de se rappeler la victoire héroïque des Maccabées et l’histoire miraculeuse de la petite fiole d’huile, mais aussi le moment idéal pour les enfants, parents et grands-parents de se réunir en famille et de découvrir un véritable sentiment de communauté. Lors de la célébration de Hanoukka, chacun est invité à participer, du plus petit au plus grand: la transmission est l’une des valeurs fondamentales du judaïsme et le rapport entre les générations est vital. Chaque membre d’une famille est responsable des autres et de la communauté toute entière. Célébrer les fêtes ensemble permet de ne pas briser la chaîne de la continuité, mais ces moments privilégiés renforcent aussi le sentiment d’appartenance à une famille, à un peuple, à l’humanité toute entière.

Le récit de cette victoire « d’un petit nombre contre une multitude » nous fait prendre conscience que chacun peut changer l’histoire avec du courage et de la persévérance. À nous de prendre exemple sur les Maccabées et à garder intact notre esprit de révolte lorsque nous sommes confrontés à des injustices. En allumant les bougies, nous perpétuons l’éternel combat de la lumière contre les ténèbres, du bien contre le mal, opposition présente dans toutes les traditions.

Le Talmud nous enseigne que seule la lumière ne diminue pas quand on la divise, au contraire, elle augmente. Cette année encore, dans tous les foyers juifs, nous ferons briller ces lumières en espérant qu’elles éclairent le monde et fassent reculer l’obscurité.

Quelle est la symbolique de Hanoukka?

Hanoukka symbolise le combat du peuple juif contre l’assimilation forcée; le combat pour la survie spirituelle du judaïsme et son identité face aux autres courants de pensée.

C’est la lumière de la vie juive que les Grecs voulaient éteindre définitivement.

C’est aussi la survie du monothéisme face à un hellénisme qu’Antiochus Épiphane entendait imposer de force. Hanoukka nous offre une leçon de courage, celui d’une minorité luttant avec acharnement pour défendre ses propres valeurs. Cette fête nous enseigne le respect de l’autre et de sa volonté de vivre en préservant sa culture et ses traditions.

Hanoukka est aussi une histoire d’hommes et de femmes: elle nous enseigne le besoin de s’unir, de s’organiser, d’agir, de combattre, d’utiliser toutes les ressources de notre ingéniosité, bref, de prendre notre destin en main et de ne pas se laisser aller à la seule prière pour envisager un avenir meilleur. L’étude, la prière, la contemplation et la dépendance vis-à-vis de Dieu ne peuvent jamais remplacer la prise de responsabilité. Le miracle, s’ils ne l’ont pas attendu, ils l’ont créé de leurs propres mains.

Quant à la légende de l’huile qui brûla huit jours, c’est une histoire merveilleuse mais qui intervient après les faits et la victoire. Cette histoire est visiblement absente du récit des premiers et seconds Maccabées qui décrivent le soulèvement politique. Bien plus, l’histoire du « miracle de Hanoukka » fut inventée par des rabbins des centaines d’années plus tard pour amoindrir la responsabilité des hommes et des femmes face à leur destin et pour exalter à sa place notre dépendance par rapport aux interventions surnaturelles.

Comme le disent les sages: « Tout être humain porte en lui sa lumière, mais en unissant les petites flammes individuelles, nous obtiendrons un feu très puissant. » En fêtant Hanoukka aujourd’hui et en rappelant le courage des Maccabées, nous affirmons le droit de tous les peuples de vivre libres sur leurs terres en respectant leurs traditions et culture.