Espace de libertés – Décembre 2014

Le Traité transatlantique, au péril des Européens?


International

Échos de la conférence-débat organisée par le Collectif Roosevelt.be, « Comprendre le traité transatlantique », le 27 septembre au Théâtre royal de Namur.

Raoul-Marc Jennar (1) l’affirme d’entrée: « Le Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement (PTCI) (2) constitue une menace majeure pour notre modèle de société. » (3)


Engagés depuis février 2013 dans une procédure qui voudrait établir un Grand marché transatlantique (GMT), les 28 gouvernements de l’Union européenne et les États-Unis ont joué cette partition dans la plus grande opacité. L’accord viserait pourtant à relancer les économies européenne et étasunienne et à créer des emplois en favorisant le libre-échange. En réalité, il s’inscrit dans la vision prophétique de David Rockefeller: « Quelque chose doit remplacer les gouvernements, et le pouvoir privé me semble l’entité adéquate pour le faire » (Newsweek, 1999).

Occultes négociations…

Officiellement, si les représentants politiques du Vieux Continent n’ont pas parlé du PTCI, c’est car il s’agissait de tenir secrets les éléments de la stratégie européenne face aux Américains. Le marchandage était à l’œuvre dans l’arrière-boutique du pouvoir. Jusqu’à ce que des fuites ne permettent la diffusion du mandant de négociation adopté par le Conseil de l’Union européenne en juin 2013. À la lecture de ce texte présentant les « directives pour la négociation », les motifs de crainte sont nombreux.

Le verbe espiègle, Raoul-Marc Jennar a pris le temps de décortiquer les différents articles et est revenu sur les cinq objectifs et présages qu’augure le mandat.

  • Le traité ambitionne de faire appliquer intégralement les accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et les principes et obligations inhérents. Le but de l’OMC, c’est d’éliminer tous les obstacles à la concurrence au nom du libre-échange, donc aussi bien les droits de douane que des barrières non tarifaires.
  • « L’harmonisation » des normes et répercussions sur le mode de vie. Il s’agit de rendre compatibles les normes en vigueur dans les pays de l’UE avec celles appliquées aux USA et in fine de trouver un « plus petit dénominateur commun aligné “à la baisse” » sur les règlements américains (4).
  • La volonté est d’enlever aux tribunaux officiels le pouvoir de trancher tout conflit sur les normes entre firmes privées et pouvoirs publics et de les confier à un « mécanisme de règlement des différends ». Ce n’est plus un système avec des tribunaux démocratiques, ce sont des tribunaux compétents (!) pour dépouiller les États et leurs citoyens qui sont envisagés. C’est à ce point? Pour s’en convaincre, Raoul-Marc Jennar relève l’Accord de libre-échange d’Amérique du Nord (ALENA), conclu entre les États-Unis, le Canada et le Mexique depuis 20 ans. « À 30 reprises, des firmes privées américaines ont déposé plainte contre le Canada; à 30 reprises, elles ont gagné. À cinq reprises contre le gouvernement mexicain, les cinq fois, le Mexique a perdu. En revanche, à 26 reprises, des firmes mexicaines et canadiennes ont sollicité un règlement face aux États-Unis, et 26 fois les États-Unis ont eu gain de cause. Trois options débouchent de ces tribunaux spéciaux: soit le gouvernement paie des compensations aux entreprises, soit on supprime la règle contestée, soit les deux. »
  • La suppression des droits de douane entre États-Unis et Union européenne. En fait, ces droits de douane sont déjà presque tous défaits, si ce n’est dans un domaine: l’agriculture. Si on abaisse les taux d’entrée des matières agricoles américaines, l’Europe deviendra le marché le plus ouvert du monde. Pour résister, l’agriculture européenne devra encore plus s’industrialiser et développer une agriculture plus intensive avec plus d’intrants.
  • L’inutilité de tout amendement au texte. Les négociateurs envisagent de créer une institution nouvelle (« Conseil de coopération réglementaire » ou, pour reprendre les termes éloquents d’Hilary Clinton, un « OTAN économique ») qui chapeauterait l’accord afin de veiller à son respect et de continuer la négociation sur les points qui n’ont pas abouti sans que ces « nouveautés » ne repassent par les États!

Le gain de l’un est la perte de l’autre

À l’origine le capitalisme s’est développé au détriment des plus faibles et grâce au commerce des esclaves, système qui incarnait le libre-échange sans contraintes. Les grands gagnants de l’ouverture de ce marché transatlantique seraient les banques et les multinationales. On peut légitimement s’interroger sur les dérives anti-démocratiques que promet un accord fomenté par des lobbies et leurs comparses technocrates. Le pacte social européen, s’il existe, a du plomb dans l’aile.

Contre l’achèvement de ce projet, Raoul-Marc Jennar rappelle que le traité devra passer par un processus de ratification en trois temps au cours duquel gouvernements, députés européens et élus nationaux auront des opportunités pour s’opposer. Et d’inviter à la contestation démocratique: « Ils ne sont forts que du silence qu’ils nous imposent », souligne-t-il.

 


(1) Docteur en science politique, essayiste et collaborateur du Monde diplomatique.

(2) En anglais Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP), aussi appelé Transatlantic Free Trade Area (TAFTA).

(3) Lire son ouvrage qui traduit et commente le mandat européen de négociation: Raoul-Marc Jennar, Le Grand Marché transatlantique. La menace sur les peuples d’Europe, Nîmes, Cap Bear, 2014.

(4) Secteurs concernés: la législation sociale et le droit du travail, la sécurité alimentaire et la santé publique, tout le dispositif de normes techniques et environnementales, la finance. À la clé, une tendance à la privatisation des services publics et de la sécurité sociale.