Espace de libertés | Juin 2018 (n° 470)

1948 : enfin citoyennes! Oui, mais…


Libres ensemble

Il y a à peine 70 ans, la Belgique accordait le droit de vote auxfemmes. Le suffrage «universel» n’usurperait dorénavant plusson bel adjectif. Un combat difficile dont nous retraçons lesgrandes étapes émaillées par quelques souvenirs personnels d’Antoinette Spaak.


L’égalité politique tardivement acquise est, dans les faits, encore inachevée. Car, si beaucoup de chemin a effectivement été parcouru, force est de constater que le monde politique reste un bastion fortement masculin, avec ses codes.

J’ai été très touchée par le courage des femmes en politique.

Des mineures sous influence

La Belgique n’a pas connu un mouvement aussi marquant et âpre que celui des Suffragettes au Royaume-Uni. Les premières féministes ne sont pas assez nombreuses pour constituer un mouvement revendicatif efficace et l’action féministe se concentre dans un premier temps sur l’accès des filles à l’éducation. À la fin du XIXesiècle, les associations féministes belges s’organisent selon la logique de piliers:il y a les catholiques, les socialistes et les bourgeoises. Les logiques de partis prévalent. Le suffrage féminin est plus considéré comme une arme politique que comme une revendication égalitaire. Paradoxalement, les milieux socialistes et libéraux progressistes s’en méfient. Le paternalisme ambiant et de fortes suspicions pesant sur la teneur du vote féminin, considéré comme forcément plus conservateur, constituent des freins importants. Un changement de mentalités va devoir s’opérer.

Bien sûr, la Ligue du droit des femmes (fondée en 1892 suite à l’affaire Popelin) avait inscrit le suffrage universel dans ses revendications mais n’en a fait un combat prioritaire qu’à partir de 1912. L’année suivante, un premier front féminin se crée en faveur du suffrage avec la création de la Fédération belge du suffrage féminin unissant les féministes bourgeoises et chrétiennes. Le premier conflit mondial éclate et va mettre ces revendications entre parenthèses. Les femmes attendront encore.

Éligibles, d’abord…

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, quelques avancées sont concédées aux femmes. Certaines catégories (veuves de soldats, mères veuves de soldats, héroïnes) se voient octroyer le droit de vote si elles en font la demande. Mais le suffrage féminin reste l’objet de tractations politiciennes et, en 1921, un compromis accorde aux femmes l’éligibilité à tous les niveaux, mais le droit de vote uniquement aux élections communales. En novembre de cette même année, Marie Spaak-Janson devient la première sénatrice cooptée par le POB (Parti Ouvrier Belge). Elle sera également la première femme à présider une assemblée parlementaire belge. «Le jour des élections, ma grand-mère, qui était donc sénatrice, restait à la cuisine et préparait le repas des hommes. Son mari votait, ses trois fils votaient, pas sa fille. Elle restait chez elle. Sénatrice, c’est incroyable!»raconte Antoinette Spaak.

… électrices, enfin

L’après-Seconde Guerre mondiale est marqué par un renouveau démocratique, la création des Nations unies. En France, le droit de vote est octroyé aux femmes en 1944. Il devient impossible de discriminer sur le sexe, en raison des conventions internationales.

Le suffrage féminin est finalement accordé aux femmes, le 27 mars 1948. Concrètement, les femmes s’expriment pour la première fois dans les urnes aux élections législatives de 1949. Antoinette Spaak participe à ces premières élections. Elle vient d’avoir 21 ans.

En quête de légitimité

Au cours de cette élection, beaucoup d’idées préconçues envers les femmes ont été véhiculées:sur leur manque d’expérience, d’éducation politique… Mais, à son issue, la composition du Parlement ne sera pas fondamentalement changée. Les femmes semblent avoir intégré les préjugés à leur égard et ne pas se sentir totalement légitimes. En effet, leur représentation reste faible. Élue parlementaire FDF en 1974, Antoinette Spaak le confirme: « Minoritaires, nous étions très solidaires. Nous n’étions pas 10, je crois. Je peux mieux parler de mon parti. Je ne sais pas trop ce qui se passait dans les autres. Mes copines parlementaires m’ont toujours dit que mon parti étant jeune, il était beaucoup plus ouvert. Pour mes copines, j’étais privilégiée de ce point de vue-là. »

Plafond de verre

En 1977, Antoinette Spaak devient la première présidente de parti en Belgique. Si cela représente pour la société belge une étape symbolique importante, elle n’a cependant pas personnellement eu le sentiment de briser un plafond de verre: « Je ne voyais pas pourquoi une femme ne pouvait pas devenir présidente de parti. Mais, j’ai été très étonnée par le bruit qu’on a fait autour de cela. Ce n’est pas si difficile. Au contraire, il y a des avantages et je ne voyais pas les inconvénients. J’étais très froide sur le sujet. Mais, c’est vrai que la presse en a fait toute une affaire et les femmes autour de moi étaient très divisées. Les unes, tout à fait favorables. Les féministes pointues étaient plus sévères par rapport au fait que j’étais seule et la première. Elles disaient que j’étais un otage. C’était mal me connaître. »

Quotas ou pas?

Pour pallier le manque de représentation chronique des femmes, dans les années 1980 émerge l’idée de recourir à un système de quotas. En 1994, la loi Smet-Tobback institue qu’une liste électorale ne peut contenir plus de deux tiers de membres du même sexe. « J’étais contre les quotas, je trouvais que cela avait quelque chose d’injurieux. Mais, j’ai reconnu leur intérêt par la pratique et quand j’ai vu la difficulté des femmes à accepter d’entrer en politique. Cela n’a pas dû être facile pour toutes! J’ai été très touchée par le courage des femmes en politique et le courage qu’elles ont eu à s’investir. Vraiment!J’en suis encore extrêmement fière d’elles. Parce qu’il en fallait!Les quotas sont un passage obligé. Un jour, on les supprimera sans doute, quand ce ne sera plus nécessaire. »

Pour Antoinette Spaak, « il y a quand même un progrès. Des ministres femmes ont maintenant des compétences tout à fait fortes, ce n’est plus seulement la santé publique, le social. Vraiment, cela s’élargit. » Une femme Première ministre serait assurément une prochaine étape marquante.