Espace de libertés | Juin 2018 (n° 470)

« J’en ai marre des populistes! ». Entretien avec Paul Magnette


Grand entretien

Requinqué, Paul Magnette veut aller de l’avant. À gauche toute et contre les ennemis de la liberté et de la démocratie. Dans sa trousse: laïcité, cordon sanitaire, défense de notre modèle social. Et donner du sens à nos vies.


À peine sorti du cours sur… Machiavel qu’il donne à l’ULB, Paul Magnette nous attend dans le jardin ombragé d’un resto. Bien que pressé, l’homme fort du PS et bourgmestre de Charleroi paraît zen. Mais sous le calme bouillonnent les idées et une envie redoublée d’agir pour réformer, avancer et, un jour, avoir les coudées franches à la tête de son PS. Tour d’horizon des agacements et convictions du bloqueur de CETA.

Ce resto s’appelle «Les Foudres». À qui, là, avez-vous envie de lancer vos foudres?

Au populisme banalisé qui distille au quotidien sa xénophobie, son exclusion ou ses propos insensés comme les enchaîne un Trump. Sans que cela ne choque plus grand monde!Mais nous-mêmes, gens de gauche, méritons aussi des foudres:pourquoi avons-nous tant de mal à lutter contre cette gangrène des esprits et de la raison qui frappe en particulier l’électorat populaire?Un public qui a plus besoin que jamais des syndicats, du monde associatif et du combat de gauche face à tous ceux qui servent les intérêts des nantis.

D’affaires en scandales, la gauche a aussi fourni le bâton pour se faire battre?

Oui, nous devons admettre notre part de responsabilité dans l’état de la situation. Nos adversaires ne font finalement que leur tambouille:défendre les riches avec une habileté machiavélique. Comme le gouvernement Michel, dont la popularité d’un Theo Francken est au zénith parce qu’il attise le mécontentement sur les étrangers, l’islam, les migrants. C’est la technique du leurre:détourner l’attention du détricotage social, des réductions de budget des soins de santé ou des mesures hostiles aux pensionnés.

La Belgique cède-t-elle moins à la tentation populiste?

Légèrement. Nous n’avons pas de Victor Orbán, et nous ne sommes pas la Pologne. Mais le populisme au fumet d’extrême droite a gagné l’Italie, l’Autriche, les Pays-Bas, la France. Chez nous, le Vlaams Belang et la N-VA surfent sur le populisme tous les jours. La N-VA pousse au démantèlement de la protection sociale de tous les Belges et des corps intermédiaires comme les syndicats, les mutuelles… Et cible la presse. Ce sont les symptômes d’un populisme en action. Même le PTB manie une rhétorique aux accents populistes et est, en interne, tout sauf démocratique.

Êtes-vous partisan d’un cordon sanitaire autour des partis populistes, extrémistes, fondamentalistes? 

En tout cas, à l’égard de tout parti liberticide. Car oui, «pas de liberté pour les ennemis de la liberté». Une démocratie doit se protéger de ses ennemis que sont l’extrême droite ou le radicalisme religieux, incarné par le parti Islam. Le cordon sanitaire politique affirme l’impossibilité d’alliance avec de tels partis. Quant au cordon médiatique, seule la Belgique francophone l’applique en Europe. Il est sain car les médias forment l’opinion et légitiment ceux qui y passent. Priver les partis liberticides de tribunes, c’est les priver de légitimité. L’attitude du parti Islam est inacceptable, notamment dans sa négation de la femme. Le débat sur RTL-TVI avec un représentant d’Islam a été une erreur. Il n’aurait pas dû se tenir… La victimisation des extrémistes est moins grave que leur banalisation. Car même avec l’accès aux médias, les ennemis de la démocratie continuent à se poser en victimes. Autant les priver des moyens d’en jouer. Je suis pour l’inscription de l’interdiction des partis liberticides dans notre Constitution.

Vous êtes aussi favorable à l’inscription du principe de laïcité. Façon Patrick De Wael, partisan du terme» neutralité» ou façon Olivier Maingain, défenseur d’une «laïcité» plus active?

J’estime comme Olivier Maingain que la laïcité est un principe actif, d’émancipation, d’affirmation de choix éthiques et de valeurs démocratiques. Mais sémantiquement, en Belgique, la laïcité n’est pas simplement perçue comme le principe de neutralité de l’État et de l’espace public, elle a aussi une connotation antireligieuse. Si pour la couler dans la Constitution sans heurter certains, il faut écrire «neutralité»plutôt que «laïcité», qu’importe. L’essentiel est d’affirmer avec force la neutralité de l’action de l’État et la supériorité absolue de la loi civile sur toute forme de lois, ordres ou préceptes religieux.

Quel regard portez-vous sur «la libération de la parole» des femmes et la dénonciation de comportements sexistes ces derniers mois?

C’est salutaire pour elles et leur dignité. Par contre, cela me gêne dès qu’on exploite ce climat au-delà de certaines limites, qu’on verse dans le puritanisme ou la paranoïa. Il faut, comme l’écrivait brillamment la romancière Leila Slimani, préserver le droit de la femme au plaisir et à la séduction sans tomber dans le puritanisme. Je trouve aussi très bien que cela vienne des femmes elles-mêmes, car quand des hommes décrètent qu’il faut la protéger, c’est la faire passer comme incapable de se protéger elle-même. Évitons les discours qui cultivent toute idée d’infériorité féminine.

Faut-il aller plus loin dans la répression et l’encadrement juridique des comportements déplacés envers les femmes?

Compliqué!Quand mes deux filles ados me parlent des attitudes déplaisantes de garçons à leur égard dans le bus, je ne vois pas comment un texte de loi peut être une solution applicable. Et puis, qu’hommes et femmes trouvent les moyens de régler leurs problèmes sans toujours attendre que la loi ou les tribunaux le fassent!Revenons à une civilité élémentaire et à une autorégulation sociale. Pour les propos sexistes et les harcèlements avérés, des lois existent.

Qu’est devenue votre bataille contre le CETA?

Le résultat politique, ce sont les concessions arrachées. Mon combat a aussi mené à la saisine de la Cour de justice européenne pour trancher la question sur les fameux mécanismes d’arbitrage qu’on voulait nous imposer. J’ai bon espoir d’une décision fixant que les arbitrages privés sont incompatibles avec le droit européen. Cette victoire remettrait en cause toute cette privatisation rampante de la juridiction économique et rééquilibrerait le rapport de force entre les États et les multinationales.

Pour le Belge, cela changerait quoi?

Cela fixerait noir sur blanc, par exemple, une définition limpide de ce qu’est une mutuelle et que cet organisme essentiel ne pourra jamais être mis sur le même pied que des organismes privés en matière de santé. Que le traité CETA ne pourrait jamais réduire le rôle social des mutuelles. Idem pour les services publics. Ceci dit, il faut continuer la lutte car dans la soixantaine d’autres traités internationaux en négociation avec la Commission, on ignore superbement les résultats de la fronde anti-CETA.

L’Europe a aussi méprisé la défense de l’environnement et d’une économie verte lors du vote de son budget 2021-2026. L’avenir est sombre pour notre modèle agricole?

La réduction du budget de la politique agricole commune est une tendance lourde. Mais, la question est moins celle des montants alloués que la manière dont on les utilise. Arrêtons de subventionner l’agriculture intensive et favorisons la transition vers le bio et un soutien réel aux agriculteurs qui remplissent une vraie mission d’entretien de l’environnement et de l’espace!La Wallonie reste largement une agriculture familiale et une majorité de ses jeunes agriculteurs tourne le dos au modèle productiviste pour lui préférer le maraîchage, la permaculture, le bio. C’est une transition profonde, marquée par une revalorisation de produits agricoles, de races d’élevage, de produits du terroir wallon, vers l’agroalimentaire et la restauration… Rien à voir avec le schéma Flandria du Nord.

À quelles alternatives économiques croyez-vous pour changer notre société?

Primo, continuer à défendre les services publics contre toute marchandisation ou privatisation de matières comme l’enseignement, la santé, la culture… Secundo, forcer le secteur privé à être vertueux avec des instruments persuasifs comme de la fiscalité incitative, voire punitive, des réglementations. Tertio, promouvoir l’économie sociale, plus que jamais d’actualité. Non orientée vers le profit mais vers l’humain, elle réinjecte ses bénéfices dans l’investissement, la formation, et une gestion plus à hauteur d’homme et de ses aspirations. Le travail, ce sont désormais «trois S». Avant, c’était le salaire, puis s’est rajouté le statut. Aujourd’hui, c’est le sens qui doit prévaloir. Il faut donner un sens au travail fourni et donc à nos vies. L’économie sociale est dans cette logique. L’idéal serait d’étendre l’espace vital des services publics et de l’économie sociale avec, comprimé entre les deux, le secteur privé.