Espace de libertés | Juin 2018 (n° 470)

«À croire qu’un prof ne vaut pas un prof!»


École

Pierre-Stéphane Lebluy est enseignant à Gosselies. Pour la première fois de sa carrière, il a donné un cours de«philosophie et citoyenneté» (CPC). «Espace de Libertés» l’a suivi tout au long de l’année pour comprendre les enjeux – théoriques et pratiques – de ce cours ; percevoir, au plus proche du terrain, les doutes et les espoirs qu’il suscite.Épisode 5 : Un bilan sous forme de plaidoyer.

 


Il flotte comme un air de fin d’année scolaire… Pierre-Stéphane Lebluy, notre professeur de philosophie et de citoyenneté, nous reçoit dans son jardin. Il sait que c’est un peu prématuré, mais il se prête volontiers au jeu:dresser un bilan de cette première année d’enseignement de ce cours si particulier. Le CPC, «un cours qui permet aux élèves de réfléchir de manière libre, de se décentrer», rappelle Pierre-Stéphane Lebluy. Ce dernier souhaite parler cash. Car cette première année lui a laissé un goût amer. Il déroule:«L’idée de départ du CPC, qui est de travailler le vivre ensemble, est une idée magnifique. Mais cette idée est abîmée par des éléments extérieurs, par des jeux de pouvoir.»

Dans le libre, un contenu dilué

L’exemple des formations est, selon Pierre-Stéphane Lebluy, assez symptomatique des «inégalités de traitement qui règnent entre les élèves d’une part et entre les enseignants d’autre part». Chaque professeur qui donne ce cours de philosophie et de citoyenneté dans l’enseignement officiel doit suivre une formation certifiante de 180 heures. Pierre-Stéphane Lebluy estime que le niveau de ces cours en «didactique à la philosophie et à la citoyenneté»est extrêmement variable («c’est la cata», glisse-t-il). Mais le véritable problème n’est pas là. Il se situerait plutôt dans les vieux clivages de l’enseignement belge. C’est en tout cas ce que pense l’enseignant:«Les professeurs de l’enseignement libre sont dispensés de cette formation. À croire qu’un professeur n’est pas égal à un autre professeur.»

Les écoles de l’enseignement libre sont censées transmettre les connaissances en philosophie et citoyenneté qui figurent dans un programme, lui-même tiré d’un référentiel commun à toutes les écoles de la fédération Wallonie-Bruxelles. «Mais dans le libre, il n’y a pas une seule heure de cours qui est consacrée à la philosophie et à la citoyenneté, ajoute-t-il. La matière est censée être disséminée dans tous les cours, y compris la gymnastique.»

En envisageant la matière comme un axe transversal, l’enseignement libre se donnerait surtout les moyens de diluer le contenu, de l’affadir, voire de ne pas le donner. Pour éviter les inégalités, Pierre-Stéphane Lebluy propose que «tous les enseignants du libre suivent cette formation pour savoir de quoi ils parlent et encore, s’ils en parlent. Car dans l’enseignement officiel il nous faut respecter les règles, dans le libre, on s’arrange pour les contourner».

Pierre-Stéphane Lebluy en est convaincu:l’enseignement libre «qui parfois montre une tendance à préformater les esprits»se méfie fortement de ce cours aux visées émancipatrices. La grande crainte de l’enseignant hennuyer, c’est que ce «modèle»du libre soit transposé dans l’enseignement officiel dans le cadre du pacte d’excellence. «Le CPC pourrait être avalé dans un grand module de sciences sociales», pense-t-il.

Le rêve des deux heures

L’autre grande difficulté qui bride Pierre-Stéphane Lebluy et ses collègues, c’est le manque de temps. Le professeur plaide pour que les élèves suivent «deux heures de CPC obligatoire plutôt qu’une à l’heure, cela permettrait de réellement développer le cours. La première difficulté que l’on rencontre face aux élèves concerne le sens des mots. Se mettre d’accord sur le sens des mots, de certains concepts prend beaucoup de temps avant même d’avoir ouvert le programme.»

Au beau milieu de ce mécontentement subsiste un motif de satisfaction, essentiel:les élèves. La rencontre avec ces jeunes d’horizons si divers donne du baume au cœur à celui qui dit vouloir «lutter contre les replis identitaires». «J’avais des craintes en début d’année, mais je me sens très épanoui avec ce public mélangé, aux différentes convictions. J’aborde tous les thèmes, sans tabou, en respectant chacun.»Pierre-Stéphane Lebluy est bel et bien prêt à rempiler pour une deuxième année en tant que prof de CPC.