Caméraman, réalisateur… Manu Bonmariage a, durant des années, capturé au plus près le quotidien des hommes, leurs crises, leurs angoisses, leurs combats. Aujourd’hui, à son tour, il devient lui-même le sujet d’un portrait touchant, signé par sa fille, Emmanuelle.
Allô Police, Les Amants d’Assises,Ainsi soit-il, Vivre sa mort… Quelques films parmi d’autres, emblématiques de la carrière de Manu Bonmariage – célèbre également pour toutes ses collaborations avec l’émission «Strip-Tease» –, de son regard sur la vie aussi. Un regard toujours posé à hauteur d’hommes… «Mon père est un émotif actif primaire», raconte Emmanuelle Bonmariage, qui dresse aujourd’hui le portrait de son paternel dans Manu, documentaire touchant, qui nous dévoile tant l’homme que le cinéaste. «C’est un instinctif, qui agit sans réfléchir de prime abord. Qui tombe sous le charme d’êtres marginaux ou en crise. Des personnages-miroirs pour son cinéma du direct. Il a filmé tant d’êtres humains plongés dans des moments de vie complexes, saisissant la fragilité, l’aspect parfois tragi-comique de certaines situations. À travers les images qu’il a rapportées, je suis troublée par une humanité profonde dans ce qu’elle a de complexe, de drôle, d’absurde et d’émouvant à la fois», poursuit-elle.
«Mon but, c’était de dévoiler le personnage», confesse l’intéressé. «J’aime que celui qui prend la parole ou réalise l’action prenne toute son importance. C’est une forme d’engagement de sa part, ça n’a rien de furtif. Les gens qui se retrouvent en face de moi ne sont pas toujours à l’aise, parfois ils sont même très mal à l’aise. Mais cela n’a pour moi rien de malsain, au contraire;sa parole n’est pas une réaction à une accusation, c’est plutôt une remise en question auquel lui-même ne s’attend pas. Même si parfois, la personne en face de moi ne me plaît pas nécessairement, je reste amical. Je me mets à sa place, j’instaure une forme de camaraderie tout en restant sérieux, sans verser dans la familiarité. Je préfère parler de générosité… Je ne me vois pas comme un maître du jeu, même si parfois, en interpellant, je provoque. Mais ce qui va sortir de cette interpellation et de cette remise en question sera riche.»
Bousculer le quotidien
Pousser à la remise en question, bousculer, mais aussi questionner le quotidien, et la société elle-même, voilà un fil rouge qui traverse tous les films de Manu Bonmariage. «Pour moi, tout part toujours d’une personne. Cela devient un sujet, puis un film. Cela n’a rien à voir avec du journal télévisé», précise le cinéaste. Avec toutefois des thèmes récurrents, dont l’amour, la religion, le droit de mourir dignement, l’isolement, l’enfermement… Sa fille Emmanuelle confirme:«En revoyant ses films, on retrouve des sujets qui reviennent, qui l’interpellent particulièrement. Comme l’emprisonnement, au sens large du terme. Il est ainsi question de prison dans Les Amants d’Assises évidemment, mais aussi dans L’Amour en prison, Avoir 20 ans en prison… Mais il a aussi tourné plusieurs fois dans des établissements psychiatriques:Amour fou, Pas si fou, entre autres. Selon moi, cette thématique récurrente de l’isolement est liée à son adolescence, qu’il a passée dans une pension catholique, une période de sa vie qu’il a lui-même vécue comme un traumatisme.»
Ému, l’intéressé confirme: «C’était dur à crever, qu’est-ce qu’on peut pleurer à 12 ans dans ce genre d’endroit. Cela a créé en moi une forme d’empathie et de sympathie pour tous les gens qui sont enfermés, que ce soit en prison, en asile, en centre fermé… Je crois qu’avoir moi-même connu cela m’a rendu plus attentif aux autres, à les regarder sans jugement. Quand je tournais dans ces lieux clos, qui sont des endroits où l’être humain est mis à l’épreuve, c’était sans doute pour moi une façon de revenir dans la pension, mais en m’y fondant autrement, en y posant un autre regard.»Un regard et une empathie qui lui ont permis en quelques décennies de faire jaillir des témoignages et émotions intenses. Avec un ton et une force uniques.