En Italie, les couples homosexuels qui obtiennent l’adoption définitive de leur enfant grâce à la justice sont de plus en plus nombreux, et ce malgré le fait que le gouvernement de Matteo Renzi a récemment renoncé à légiférer sur les familles homoparentales.
En mars dernier, le tribunal des mineurs de Rome validait définitivement, et pour la première fois, l’adoption d’un enfant par le compagnon de son père biologique. Cette décision venait en confirmer une autre, prise par le même tribunal: celle du premier cas d’adoption croisée au sein d’un couple de lesbiennes. Depuis 2014, le tribunal romain a ainsi prononcé une quinzaine d’adoptions d’enfants par la campagne ou le compagnon de leur parent biologique au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant à une «continuité affective». Ces reconnaissances ne concernent pas uniquement la capitale italienne puisqu’on retrouve d’autres cas dans d’autres grandes villes de la péninsule.
À quoi pouvait-on s’attendre du dernier pays d’Europe qui ne reconnaissait jusque-là aucun statut aux couples de même sexe?
Mais derrière toutes ces histoires familiales, il s’agit surtout d’un camouflet pour le «matamore» Matteo Renzi, président du conseil italien. Sa coalition centriste a voté en février un texte de loi au rabais en faveur de l’union des couples homosexuels puisqu’il n’est pas question de parler de mariage, mais plutôt de «formation sociale spécifique». Dans le genre technocratique, on ne fait pas mieux. Mais à quoi pouvait-on s’attendre du dernier pays d’Europe qui ne reconnaissait jusque-là aucun statut aux couples de même sexe? Si le texte établit l’obligation d’assistance morale et matérielle réciproque, le bénéfice de la pension de réversion, le titre de séjour pour le conjoint étranger ou la possibilité de prendre le nom de son conjoint, il est tout à fait impossible, par contre, pour ces couples, d’adopter les enfants naturels du conjoint.
Un minimum de protection
L’Italie ne ferme cependant pas totalement la porte aux demandes d’adoption déposées au cas par cas, comme ces quelques affaires l’ont montré en justice. Mais c’est nettement insuffisant aux yeux des associations italiennes de défense des homosexuels et des familles homoparentales, indignées par le cadre légal qui vient à peine d’être approuvé sur les unions civiles après des décennies de combat. «Il est inacceptable que les enfants, qui sont les plus fragiles de nos concitoyens, aient été effacés de cette loi. C’est comme si, au moment de signer l’union civile devant le maire avec ma compagne, je me retourne pour faire la photo avec nos enfants et qu’ils sont devenus des fantômes», expliquait, avec amertume, Marilena Grassadonia, présidente de l’association Famiglie Arcobaleno (familles arc-en-ciel). «L’adoption de l’enfant du conjoint est une mesure de civilité qui reconnaît simplement un minimum de protection aux citoyens italiens mineurs qui ne peuvent être discriminés en raison de l’orientation sexuelle de leurs parents», faisait-elle encore valoir.
«Mais les tribunaux, l’un après l’autre, raisonnant dans l’intérêt supérieur de l’enfant, sont en train d’étendre la parentalité à l’intérieur des couples gays et lesbiens élevant des enfants. Leurs décisions confirment toujours un peu plus que l’absence d’une loi pour protéger les enfants de couples homosexuels ne dispense pas l’Italie de reconnaître ces droits fondamentaux auxquels ils ont droit», ajoutait Marilena Grassadonia, dénonçant la distance abyssale entre la politique italienne, le droit et la réalité de ces milliers de familles.
Certes, le Parti démocrate (PD) de Matteo Renzi envisagerait une loi distincte sur l’adoption, pour l’instant réservée aux couples mariés, pour l’ouvrir aux couples non mariés, aux homosexuels et aux célibataires. Mais il y a fort à parier que cette loi ne soit pas près de voir le jour. En effet, après avoir échoué à faire passer un texte négocié depuis deux ans sur l’union civile pour couple de même sexe avec le Mouvement 5 étoiles (M5S) de Beppe Grillo, le Parti démocrate a dû finalement se tourner à la dernière minute vers ses partenaires de coalition, ses alliés du Nouveau Centre-droit. Sous la pression du ministre de l’Intérieur et défenseur de la famille traditionnelle, Angelino Alfano, toute mention à l’adoption a alors été retirée dans le texte de loi voté en février dernier. Pour ce dernier, ce texte revu et corrigé était déjà une «victoire du bon sens»: «Nous avons fait un beau cadeau à l’Italie en empêchant que deux personnes du même sexe puissent avoir un enfant, comme la nature le leur interdit. Nous avons empêché une révolution contre nature», s’était-il alors réjoui.
Confusion sur la gestation pour autrui
Dans le même temps, le ministre italien de l’Intérieur en a alors profité pour jeter la confusion, en ouvrant la question de la gestation pour autrui. Avec plusieurs parlementaires de la coalition centriste, Angelino Alfano se disait favorable à un projet de loi pour la criminalisation de ceux qui ont recours à la GPA à l’étranger. Tout cela a contribué à jeter l’opprobre sur nombres de familles en attente d’une régularisation de leur statut légal. En outre, on a assisté dans le camp des anti-GPA à une convergence unique entre des fractions traditionnellement adverses, mêlant des conservateurs cléricaux, certains mouvements féministes et d’autres personnalités comme celles des couturiers Dolce & Gabbana qui, dans le magazine Panorama, décrivaient leur conception de la famille: «Nous n’avons pas inventé la famille. C’est la famille sacrée avec Jésus, Marie et Joseph qui l’a rendue iconique, mais il n’est pas de religion, d’état social qui tienne: on naît d’un père et d’une mère.»
Du côté des pro-GPA, cette confusion entre adoption et GPA ne serait là que pour fausser le débat et empêcher toute avancée pour des milliers de familles. C’est ce qu’a dénoncé, en tout cas, Filomena Gallo, avocate spécialisée en bioéthique et secrétaire d’une association pour la liberté de la recherche scientifique. «Ce genre de débat n’a fait que ralentir le travail concernant la loi sur les unions civiles, en la réduisant au maximum afin de rendre orphelins des enfants qui existent déjà dans notre pays, fils et filles de couples de même sexe», reprochait-elle. En attendant, les familles homoparentales pourront se désespérer encore longtemps de cette confusion et du vide juridique qui entoure les unions civiles et leur possibilité d’adoption.