Les risques d’»entrisme» de l’extrême droite dans les rouages dans la politique belge en général, dans nos institutions en particulier, sont-ils réels aujourd’hui? Le «tout sécuritaire» est en tout cas un devenu un réflexe presque pavlovien dans notre quotidien. Et, souvent, la seule réponse, mettant sciemment de côté les alternatives possibles.
Force est de le constater que cette facette de l’État puise souvent dans la grammaire de l’extrême droite. Une droite musclée préconisant un «ordre» qui ne pourrait être que «nouveau» pour le salut de notre société en perdition, et ce, malgré une idéologie des plus rétrogrades.
Les dangers du «jeu liberticide»
Pour comprendre ce lien, l’histoire nous enseigne avec brio que l’extrême droite n’est qu’un pseudopode du «régime», l’une de ses excroissances. Une version hard de la domination. Cette ultra-droite fait partie intégrante du système –comme un virus. Et en période de crise, indirectement, il est souvent fait appel à ses idées sécuritaires pour faire peur à la «majorité silencieuse» et, avec son consentement, mater les opposants. La limitation stricte des libertés –collectives et individuelles– est au cœur du credo de la droite pure et dure. Mais elle n’en a, apparemment, pas le monopole (voir à ce sujet outre-Quiévrain). Mais l’extrême droite en reste l’emblématique et diabolisant symbole.
Qu’en est-il alors de cet entrisme possible de l’extrême droite –ou de ses idées et points programmatiques– au cœur de l’État? Rappelons que l’entrisme est une stratégie de conquête du pouvoir élaborée, dans l’entre-deux-guerres, par Léon Trotski, le dirigeant russe de la gauche révolutionnaire. Ce mode opératoire communiste visait à infiltrer des militants dans les grands partis ouvriers, socialistes ou communistes, selon les cas nationaux, pour qu’ils accèdent à leur direction; le moment venu, par exemple lors d’un important mouvement social pouvant être le prélude d’une révolution, ils en prennent le contrôle ou, selon les circonstances du rapport de force, créent une scission pour former un parti révolutionnaire au service du peuple en lutte.
Entrisme et cité catholique
Une contre-stratégie d’entrisme s’est élaborée par la suite, théorisée et appliquée par Jean Ousset. Bon connaisseur du corpus idéologique et du savoir-faire marxiste, ce catholique traditionaliste français avait collaboré avec l’occupant allemand durant la guerre 1940-1945. Peu inquiété à la Libération, il cofonda le mouvement La cité catholique et proposa en son sein un nouveau plan pour la prise du pouvoir en dehors de tout cadre électoral. La stratégie proposée à l’extrême droite par Jean Ousset se résumait ainsi: «L’infiltration des élites –militaire, policière, politique et administrative, ainsi que la magistrature. » (1) De nos jours, cette infiltration des élites est encore enseignée dans les nombreuses écoles et séminaires de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSP), mouvement politico-religieux international fondé par feu monseigneur Marcel Lefebvre, un disciple inconditionnel de Jean Ousset. L’institut Civitas, la branche politique de la FSSP, a remis au goût du jour sa tactique d’acquisition des rênes du pouvoir. Pilier de la contestation contre la loi française du mariage pour tous, Civitas propose encore aujourd’hui des formations sur le modèle de la stratégie d’infiltration imaginée par Ousset. Il ne s’agit pas d’un fantasme mais d’un réel plan pour changer la nature du régime politique actuellement en vigueur, strate par strate. Ce processus est, en quelque sorte, déjà à l’œuvre en Hongrie et en Pologne. Cette stratégie fut aussi, dès la fin des années 60, celle de la «Nouvelle Droite», directement issue de l’extrême droite, comme La cité catholique, qui avait préconisé le renversement de la République par l’option militariste au moment de la guerre d’Algérie.
Et en Belgique?
La stratégie d’infiltration de l’État de Jean Ousset et de la Nouvelle Droite s’est fortement développée dans notre pays via notre extrême droite locale.
La stratégie d’infiltration de l’État de Jean Ousset et de la Nouvelle Droite s’est fortement développée dans notre pays via notre extrême droite locale, tant néerlandophone que francophone. Mais elle est restée marginale et structurellement écartée des leviers directs du pouvoir grâce au «cordon sanitaire». Cependant, ce que préconise, ici et là, le Vlaams Belang a parfois été récupéré par des partis au gouvernement. C’est, en tous les cas, ce que conclut un rapport de la Ligue des droits de l’homme à propos du programme en «70 propositions pour résoudre le problème des étrangers» (sic) élaboré, en 1992, par le Vlaams Blok, comme se dénommait le Vlaams Belang jusqu’en 2004. En vingt années à peine, ce programme raciste aurait pourtant, selon une résolution du Parlement flamand, été intégré en partie dans des mesures prises par les différents gouvernements successifs.
Écrit par Filip Dewinter, le leader dominant du VB, le programme en question a été cosigné par un certain Karim Van Overmeire. Depuis lors, ce dernier est passé par opportunisme dans les rangs de la Nieuw-Vlaamse Alliantie et siège pour son compte au Parlement flamand; mais il est mieux connu comme ce sulfureux échevin d’Alost en charge de l’enseignement, de la bibliothèque communale, de la coopération européenne et internationale, du patrimoine, des affaires flamandes et de l’intégration des immigrés. A-t-il pour autant changé d’orientation idéologique sur le curseur du radicalisme? Il est en tout cas évident qu’au sein de la formation de Bart De Wever, il a rejoint le courant de droite extrême qui avait planifié le développement de son plan, après la disparition de la Volksunie, l’historique parti nationaliste flamand. Ce n’était donc plus au sein du Vlaams Belang, frappé d’ostracisme, mais au sein d’une formation naissante acceptable, la N-VA. Qui adopta une stratégie de conquête du pouvoir basée sur l’entrisme et l’infiltration du régime. Aujourd’hui, plusieurs militants de ce courant interne sont au pouvoir, à Anvers comme au gouvernement fédéral où ils occupent tranquillement des postes régaliens.
(1) Alexandre Vick, «Jean Ousset, le “penseur’’ du mouvement lefebvriste», mis en ligne le 25 janvier 2009 sur resistances.be.