En filmant la vie comme elle va à peu près dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile pour les besoins de son «Eurovillage», François Pirot interroge notre (in)humanité. Résultat: un documentaire captivant et bouleversant.
Après Mobile Home (2012), comédie jubilatoire en forme de road movie finalement immobile, François Pirot reprend son sérieux. Et nous emmène, cette fois, au centre d’accueil d’Herbeumont dans les Ardennes belges, où il est allé à la rencontre des demandeurs d’asile. Eurovillage, dont son film tire son titre, est un ancien village de vacances isolé au milieu de la forêt ardennaise qui a été converti, en 2011, en centre d’accueil pour demandeurs d’asile. «La nature particulière de ce lieu m’a donné l’envie d’en faire un personnage central, explique le réalisateur. C’est de son point de vue que l’on observe la vie des habitants du centre.»
Patience et longueur de temps
Les résidents qui l’habitent n’ont qu’une seule occupation: attendre. Souvent abattus par le poids des procédures et des maux qui s’abattent sur eux. Pendant une durée indéterminée, ils patientent avant la réponse à cette angoissante question: vont-ils, oui ou non, obtenir le statut de réfugié, et, donc, l’autorisation de rester sur le territoire belge?
Comment traversent-ils cette étrange période, déconnectés de la vie réelle, suspendus entre ce qu’ils ont quitté et un futur incertain? Qui, pour un grand nombre d’entre eux, prendra la forme d’un «ordre de quitter le territoire»? Plus que jamais d’actualité, ce documentaire essentiel pose la question du phénomène migratoire, nous interpellant surtout sur notre humanité. «On entend surtout parler des réfugiés lorsque leurs difficultés sont évidentes, visibles et tragiques, reprend François Pirot. Mais, souvent, dès qu’ils sont pris en charge par l’État, et qu’ils deviennent officiellement “demandeurs d’asile”, ce qui se passe pour eux devient plus flou, moins connu. Alors qu’après avoir passé les portes des centres d’accueil, leur voyage est encore bien loin d’être terminé. Certes, leur vie n’est plus en danger. Ils dorment au chaud et ont de quoi manger. Mais ils ne sont pas encore arrivés réellement quelque part, c’est-à-dire dans un endroit où ils pourront réellement se construire, s’ils le souhaitent, une vie solide et durable.»
L’espoir d’une réponse positive
Eurovillage explore donc ce moment très particulier que traversent les personnes qui demandent l’asile. Ce moment où leur existence est mise en stand-by, où ils se trouvent comme suspendus en apesanteur entre deux vies. Un «non-temps», un «non-lieu», un interminable sas vers un incertain futur. Un infernal mouvement de balancier que rend parfaitement bien ce film capté à hauteur d’humain.
«La spécificité de ce documentaire est justement de s’arrêter sur un des moments les moins “sensationnels” du parcours de ces derniers, poursuit le réalisateur. Face à des événements aussi tragiques que la traversée mortelle d’un désert ou le naufrage d’une embarcation de fortune, nous sommes certes horrifiés. Mais, en même temps, cette réalité est, par son horreur, souvent très lointaine de la nôtre. Elle nous choque, mais pouvons-nous parvenir à ressentir réellement ce que cela peut être de traverser de telles épreuves? Et cela ne nous pousse-t-il pas, peut-être, à continuer à voir une réelle frontière entre “eux”, étrangers venant de pays lointains et troublés, et “nous”, habitants de pays riches et protégés?»
Eurovillage laisse voir ces personnes vivant dans des infrastructures et un paysage qui nous sont familiers. «L’étiquette de réfugié est donc moins visible et peut permettre au spectateur, du moins je l’espère, de ressentir de façon plus sensible ce que peut être l’exil, et la peur du lendemain», poursuit le réalisateur. De s’identifier, donc, dans le sens de «ressentir avec». Les histoires passées, douloureuses, même si elles sont tues, et la perspective angoissante de ne pas pouvoir rester légalement sur le territoire infusent l’atmosphère. Progressivement, une prise de conscience, issue de l’accumulation de cette tension, finit par émerger. «Permettant, enfin je l’espère, de nous emporter progressivement dans une émotion moins superficielle», conclut Pirot. Qui relève parfaitement son pari d’illustrer ces vies au rabais au moyen d’une énorme valeur humaniste.