Stib, police et autres acteurs publics regrouperont leur vidéosurveillance en 2018. Au total, 1 620 caméras seront gérées par une plate-forme régionale. « De quoi mieux coordonner », assure Bianca Debaets. Et mieux surveiller.
Une hausse de 40% de caméras de surveillance est enregistrée sur le territoire belge en 2014.
D’ici 2018, les images des 1620 caméras de surveillance gérées par des opérateurs publics seront partagées sur une plate-forme de vidéo protection. À terme, Stib, zones de police, port de Bruxelles, pompiers et Bruxelles Mobilité participeront au grand film de la vie bruxelloise. Cette plate-forme deviendrait, à en croire la Secrétaire d’État à la Transition numérique Bianca Debaets, « un maillon important de la chaîne de prévention et de sécurité », car les images seront utilisées pour la sécurité routière, la fluidité du trafic et… le maintien de l’ordre public. Un exemple donné par le communiqué de presse de Bianca Debaets: « Une intervention mieux coordonnée après un incendie dans un tunnel de métro. Ou (je pense) à un enlèvement des véhicules plus rapide après un accident, ce qui permet d’éviter la formation d’embouteillages.«
Ce grand melting pot d’images pose inévitablement une question: est-ce vraiment, pour notre bien, toute cette surveillance?
Les premiers échanges d’images ont lieu dès cette année avec la Stib et la zone de police Ouest (Molenbeek-Saint-Jean, Jette, Ganshoren, Berchem-Sainte-Agathe, Koekelberg). L’année suivante, les pompiers bruxellois, Bruxelles Mobilité et d’autres zones de police rentreront dans le générique et en 2018, le port de Bruxelles rejoindra la plate-forme.
Ce grand melting pot d’images pose inévitablement une question: est-ce vraiment pour notre bien, toute cette surveillance? En frappant aux portes de Bianca Debaets, on apprend que « cette plate-forme de vidéosurveillance sera pilotée par une association de fait dans laquelle on retrouvera les différentes institutions publiques ». Un avant-projet de l’arrêté de gouvernement instituant cette plate-forme a été présenté pour approbation à la Commission de protection de la vie privée.
Confusions en cascade
De quoi avoir les coudées franches pour une bonne partie des vidéos amateurs sans balises légales? Pas du tout. « La base légale de ce centre a été introduite en 2014″, explique Franck Dumortier, chercheur en droit, expert en vidéosurveillance et droit au respect de la vie privée. « Depuis lors, la police peut avoir accès aux images en temps réel dans les lieux ouverts et fermés accessibles.«
Le bon peuple n’a visiblement pas envie de jouer dans un film dont le scénario hésite entre surveillance et protection.
Visiblement, ce n’est pas assez pour notre sécurité. Le 14 janvier dernier, une semaine après les attentats de Charlie Hebdo, Siegfried Bracke (président de la Chambre des représentants, NVA), soumettait à la Commission de la protection de la vie privée (CPVP) une modification de la loi réglant l’installation et l’utilisation de caméras de surveillance. On passait alors de caméra traquant les « délits contre les personnes ou les biens » à la détection de « toute infraction ». « Une application assurément très large », constate la CPVP. Les caméras de surveillance mobiles pourraient être utilisées « dans le cas de situations dangereuses ou lorsqu’il y a menace ou injure ». Et la Commission de souligner: « Cette formulation est non seulement assez générale mais elle laisse en outre l’entière appréciation discrétionnaire de l’activation de la caméra à chaque inspecteur individuel de base. […] Il convient en effet d’éviter que chaque fonctionnaire de police individuel puisse décider d’activer ou de désactiver la caméra quand bon lui semble. En outre, chacun sait qu’un fonctionnaire de police se sentira beaucoup plus vite menacé ou injurié qu’un autre (et dressera dès lors un procès-verbal ou non).« Enfin, à en croire le projet de loi, l’enregistrement d’images par les services de sécurité civile peut aussi avoir pour objectif de réunir des preuves de nuisances et d’infractions. Confusion des rôles entre les services de police et les services de sécurité civile, estime la Commission. Finalement, le texte récolte un avis défavorable…
« Loi caméra »: la proportionnalité oubliée
Pour Franck Dumortier, « on va de plus en plus vers la société d’interconnexion des systèmes. Au début, la loi générale de 1992 réglementait les données à caractère personnel, dont l’image. Trois grands principes étaient mentionnés: la proportionnalité, la transparence et la finalité. Utiliser des images, on pouvait le faire seulement si c’était strictement nécessaire et il fallait démontrer l’utilité du moyen. Mais en 2007, une nouvelle loi sur les caméras de surveillance n’a pas rappelé le principe de proportionnalité. Elle banalise l’avertissement: un pictogramme et c’est bon. » 2007, c’est l’année qui a suivi le meurtre de Joe Van Holsbeeck (en avril 2006). La fuite des auteurs avait été filmée par des caméras de surveillance. « C’est certain que ce meurtre a été un tournant. Mais il faut voir la finalité de ces caméras. Est-ce un procédé dissuasif ou l’utilisation comme preuves? À des fins de preuve, le dispositif coûte cher, demande des analyses par la suite. Plus on augmente la qualité des données, plus l’État se montre intrusif. Pourquoi ne pas prévoir de distinguer la qualité et mettre en boîte ce qui est nécessaire à des fins de preuve? Un juge pourrait demander l’accès à ces boîtes. » Aujourd’hui, lorsque les images ne peuvent pas servir de preuve, elles ne peuvent pas être conservées plus de 30 jours.
40% de caméras en plus!
Or des images, il y en a de plus en plus! Pour l’ensemble de la Belgique, la Commission pour la protection de la vie privée « a enregistré 5354 (1) nouvelles déclarations de lieux de surveillance par caméras en 2014 contre 3815 en 2013… soit une augmentation de 40% ».
Le bon peuple n’a visiblement pas envie de jouer dans un film dont le scénario hésite entre surveillance et protection. Cette même année, la Commission a reçu 3219 demandes d’informations sur des traitements de données, soit une augmentation de 12,12% par rapport à 2013. Et le traitement d’images (22,50%) avec un intérêt majeur pour la vidéosurveillance arrivait en 2e position des thèmes les plus fréquemment abordés (2). Cette tendance lourde se retrouve dans l’ensemble des données –plaintes, médiations de la Commission pour la protection de la vie privée.
Moralité: si l’État veut sa télé-réalité, le citoyen préfère sa vie privée…
(1) Ces 5354 nouvelles déclarations comprennent 97 déclarations pour les lieux ouverts, 4063 déclarations pour les lieux fermés et 1194 déclarations pour des caméras sur le lieu de travail.
(2) À un fifrelin des principes de protection de la vie privée (22,59%).