Espace de libertés – Septembre 2015

Arabie saoudite, le royaume de l’obscurantisme


International
Sûr que le blogueur Raïf Badawi aura droit à une coupe de Cham’Alal (1) dans sa cellule si l’Arabie saoudite est désignée à la présidence du Conseil des droits de l’hommes des Nations unies!

À la fin du mois de mai dernier, dans les locaux d’Amnesty International « Europe », un petit bout de femme vêtu à l’occidentale, l’air bien déterminé et convaincu qu’elle reverra son mari prochainement, prend la parole. « J’espère qu’à l’occasion du ramadan, en juillet prochain, comme il est de tradition en Arabie Saoudite, le nouveau roi, dans un geste de clémence, assouplira les sanctions envers mon mari, Raïf Badawi, voire autorisera sa libération. »

Le mois de ramadan est passé; aucune bonne nouvelle n’est venue de Riyad pour Ensaf et Raïf Haidar… Les Nations unies ont dénoncé une sentence « cruelle », tandis que de nombreuses associations de défense des droits de l’homme ont exigé sa libération immédiate.

Droits de l’homme et faux ami

À propos de l’ONU et de son Conseil des droits de l’homme qui compte 47 pays désignés pour trois ans, en décembre, sa présidence changera et reviendra à un pays asiatique. Et devinez qui fait le forcing pour décrocher ce poste? Bandar bin Mohammed Al-Aiban, président de la Commission des droits de l’homme –si, si, ça existe– en Arabie saoudite, l’un des huit pays à ne pas avoir ratifié la Déclaration universelle des droits de l’homme lors de son adoption en 1948. Et quand on sait que parmi les autres pays asiatiques siégeant dans ce Conseil, on retrouve le Bangladesh, le Qatar, l’Inde ou la Chine, les chances de Bandar sont assez grandes. « Cela risque de nous renvoyer aux pires heures de l’ancienne commission qui avait sombré dans le discrédit », a confié un diplomate sous couvert d’anonymat à La Tribune de Genève, le Haut-Commissariat siégeant en bord de lac Léman.

Un « cyber-dissident » au pays de la censure implacable (2)

Mais revenons à Raïf Badawi dont le seul tort est d’avoir voulu montrer les bienfaits de ce « royaume merveilleux » au travers d’un blog. Dix ans de prison, dix ans d’interdiction de sortie du territoire et mille coups de fouet. Telle était la sanction que ce blogueur a encourue en novembre 2014. Le 9 janvier 2015, la première série de 50 coups de fouet avait été délivrée, soulevant le tollé au niveau international, ce qui a entraîné un report des séances de flagellation suivantes, aussi pour des « raisons de santé ».

Animateur du blog Liberal Saudi Network et lauréat 2014 du prix Reporters sans frontières, Raïf Badawi est emprisonné depuis 2012.

Dix jours après son passage à Bruxelles où elle avait rencontré Didier Reynders et les membres de la commission des Affaires étrangères du Parlement fédéral, Ensaf Haidar, qui vit réfugiée au Canada avec ses trois enfants, a bien dû déchanter. Le 7 juin en effet, la Cour suprême d’Arabie saoudite a confirmé la peine prononcée à l’encontre de son mari pour « insulte à l’islam ». Ensaf s’est dite très « choquée » par cette décision irrévocable qui alourdit la peine d’une amende d’un million de riyals (240.000 euros environ). « J’espérais qu’à l’approche du ramadan et avec le nouveau roi en Arabie saoudite, les prisonniers d’opinion dans le royaume, dont Raïf, soient graciés. »

Suite au passage d’Ensaf Haidar à Bruxelles, la Chambre a adopté à l’unanimité un texte de soutien au blogueur. Au même moment, soit le 11 juin dernier, le Parlement du Québec délivrait à Raïf un certificat de sélection « humanitaire » qui l’autorise donc à venir se réfugier dans la Belle Province.

Animateur du blog Liberal Saudi Network et lauréat 2014 du prix Reporters sans frontières, Raïf Badawi est emprisonné depuis 2012. Farouche défenseur de la liberté d’expression, son site avait demandé la fin de l’influence religieuse dans le royaume saoudien, régi par le wahhabisme, version stricte de l’islam. Sur le blog, «Raïf ne parlait pas de la religion, mais bien de l’institution, souligne Ensaf, donc de la police religieuse, de ses réactions, de son attitude. En critiquant… à sa façon. Ses textes sont regroupés désormais dans un recueil en allemand, et bientôt en français et en anglais. Les textes du blog venaient du monde entier et mêmes d’autres Saoudiens publiaient mais sous un pseudonyme… Lui n’avait pas le sentiment d’avoir besoin de se cacher. Il est convaincu de ses idées. Et je suis fière de lui. […] Mais nos familles ne nous ont pas soutenus.» On n’en saura pas plus de la part de ce petit bout de femme de 35 ans dégageant l’énergie du désespoir. « Il va être libéré bientôt. Ce n’est pas un prisonnier politique! »

Raïf a lancé son site en 2006. Les problèmes ont commencé en 2008 quand son compte bancaire a été bloqué. En 2011, Ensaf et ses enfants ont quitté l’Arabie saoudite et se sont installés en Égypte puis au Liban. « Raïf a connu différents procès, avec d’abord 600 coups de fouet puis 1000. Les peines ne cessent de s’alourdir. La première séance de flagellation était publique. Cela fait donc trois ans que Raïf n’a pas vu ses enfants; il peut m’appeler, brièvement, au téléphone deux fois par semaine. Il ne parle pas de lui, il demande des informations concernant la famille, les enfants. Il sait que le monde entier se mobilise pour lui et cela lui fait du bien, lui remonte le moral. »

Outre Raïf, son avocat est également emprisonné. « Mais je n’ai pas beaucoup d’informations pour lui, poursuit Ensaf, ils sont dans deux prisons différentes, Raïf à Djeddah et son avocat à Riyad. Je sais juste que lui a été condamné à quinze ans de prison. »

AS cherche huit bourreaux

Croire, comme il l’a fait, qu’il pouvait ouvrir un blog pour parler de la situation de son pays –blog sur lequel il a été le seul à signer ses articles de son nom– peut paraître naïf quand on connaît un tant soit peu le régime saoudien: situation de la femme et des homosexuels, libertés bafouées, peine de mort par décapitation et tortures en chaîne, à tel point que le régime a fait passer une petite annonce en mai dernier pour recruter huit bourreaux. Il est vrai que viol, meurtre, apostasie, vol à main armée et trafic de drogue (avoir l’air d’un drogué suffit à voler en prison) sont passibles de la peine capitale dans ce « charmant » pays qui, pour ceux qui l’oublieraient, est un excellent ami des États-Unis et des Européens.

Succédant à son demi-frère, le roi Abdallah, en janvier dernier, Salmane ben Abdelaziz Al Saoud n’apparaît pas vraiment plus tendre. Bien au contraire puisque le 15 juin dernier, il pouvait « fêter » la centième exécution de l’année alors qu’on n’en comptabilisait « que » 87 pour 2014.

 


(1) Pseudo-champagne certifié halal composé de jus de raisin pétillant.

(2) L’Arabite saoudite se situe à la 164e place du classement mondial de la liberté de la presse 2015 de Reporters sans frontières qui compte 180 pays, NDLR.