Au mois de juin dernier, notre Michel Ier est parvenu à se mettre les Grecs à dos, et pas rien qu’eux d’ailleurs, en annonçant à Athènes « la fin de la récréation ». À l’heure où le peuple grec des travailleurs (je ne parle pas des richissimes armateurs ni du non moins cossu clergé orthodoxe…) vit dans la précarité, l’expression était plus que maladroite, elle était choquante. Tout le monde s’est demandé si la Grèce n’allait pas désintégrer cette union ultralibérale dans laquelle il est devenu difficile de rester europhile. « Grexit »: ce pourrait bien être le titre d’une tragédie contemporaine, en tout cas un néologisme dont on se serait volontiers passé.
Les synchronicités sont souvent parlantes. Alors que la sacro-sainte troïka (1) nous a montré qu’elle était prête à tout, y compris au Grexit, pour récupérer sa mise, la France, socialiste et démocratiquement élue celle-là, tourne elle aussi le dos à la Grèce. Ou plus exactement à sa langue. Exit l’apprentissage du grec ancien. Idem pour le latin: défenestrés de la belle manière, les Homère, Sophocle, Virgile et Cicéron. Les langues anciennes sont désormais bien mortes, du moins dans l’Hexagone où la ministre de l’Éducation nationale décide de réduire de manière drastique nombre d’heures consacrées à ces langues dont l’apprentissage est jugé élitiste et donc, cela tombe sous le sens, contraire aux exigences d’une démocratie égalitaire. Ces langues fondatrices de notre culture sont donc vouées aux gémonies et leur enseignement renvoyé aux calendes grecques, au nom d’une saine gestion de la démocratie. Après tout, pourquoi s’en inquiéter? Même les islamistes dynamitent ce qui reste de ces vieilles civilisations. Le passé est suranné, construisons l’avenir sans plus nous soucier de nos racines, conduisons sans regarder dans le rétroviseur: voilà une politique digne de notre médiocratie anti-élitiste! Après tout, le demos grec n’avait qu’à pas voter pour Syriza, tellement à gauche que les oligarques en viendraient à craindre qu’il ne soit un tantinet bolchevique…
O tempora, o mores! Ah, qu’il est loin le temps où Marsile Ficin entretenait nuit et jour une flamme devant le buste de Platon, où Érasme écrivait « Saint Socrate, priez pour nous » et où Thomas More se disait qu’il lui « faudrait des pages pour expliquer tout ce qui manque à ceux qui ne savent pas le grec ». Mais bon, il semblerait qu’on ne puisse être tout à la fois anti-élitiste et humaniste. Alors, que la Grèce sorte de l’Union et de nos manuels scolaires et vive le progrès! Pour le moment, j’ai juste envie de noyer mon chagrin dans le retsina.
(1) Le Fonds monétaire international, la Banque centrale européenne et la Commission européenne qui, sans aucune légitimité, font la pluie et le beau temps.