Sorte de vaisseau amiral de la démocratie culturelle belge, Jacques Zwick s’est impliqué, sans compter ni ses heures ni ses amis et encore moins ses ennemis, dans la vie sociale, politique et culturelle du pays. Un brillant et fascinant coffret de quatre livres rend (enfin) hommage à ce grand passeur.
Après un faux départ dans une carrière d’avocat qui ne le satisfait pas, Jacques Zwick (1925-2005) trouve sa réelle vocation lorsqu’il devient secrétaire général de la Ligue des Familles de 1955 à 1988. Il s’emploiera à en faire une organisation pluraliste dans ses valeurs, et plus égalitaire dans son fonctionnement. Retraité actif, il occupera encore néanmoins de nombreux mandats au sein d’institutions telles que le Botanique, le Centre bruxellois d’action interculturelle ou le CNCD-11.11.11. Ce kaléidoscope de mandats lui valant d’ailleurs le sobriquet de « Monsieur les Présidents ».
Et puis, surtout, il mettra en œuvre de multiples projets dans les domaines de l’enfance et du théâtre. On lui doit par exemple la commission interculture de Présence et Action Culturelles. Il y invitera de nombreux acteurs de la vie culturelle de gauche au sens très large du terme. Dont des chrétiens. Convaincu qu’il était que la gauche ne s’arrêtait pas aux limites de son parti.
Mémoires posthumes
Paradoxalement, ou peut-être était-ce voulu par une personnalité qui cultivait l’ambiguïté entre une vie publique effrénée et un souci constant de la discrétion, il existait peu de traces tangibles de l’action, et surtout de la pensée, de Jacques Zwick. Jusqu’à ce que l’on mette la main sur son « journal », épais d’un bon millier de pages dactylographiées. Où il évoque, pêle-mêle, ses sentiments face à l’âge qui grandit et ne lui fait pas de cadeaux (« J’ai perdu ma capacité d’indignation », écrit-il à un moment). Mais, surtout, cette chronique recense, et commente, ses goûts en matière livres de chevet (de Graham Greene à François Mauriac en passant par Albert Cohen et David Lodge), ses coups de cœur musicaux (Brel, son ami de jeunesse, mais aussi Trenet, Gréco et Gainsbourg), et quelques pépites du septième art qu’il aimait voir et revoir (comme Les sentiers de la gloire, Le huitième jour ou La Strada).
Mais c’est encore quand il s’appesantit sur son quotidien que Zwick s’avère le plus touchant. En témoignent ces quelques lignes belles et rebelles sur les maisons de repos, où il risque de terminer sa vie: « Une maison de repos où l’on ne fait qu’être nourri, logé et soigné en attendant la mort entretient une sous-vie. Alors que le grand âge peut, lui aussi, encore, être créatif, actif, vivant au sens fort du terme. » Et, un peu plus loin, on épinglera aussi cette phrase résonnant comme un épilogue: « J’ai évacué la question de Dieu: mon incrédulité est totale et sereine. » Sentence en forme ultime de la sagesse d’un guerrier qui avait couru sur tous les fronts, mais savait que le grand saut était proche.