Née à Téhéran en 1977, Abnousse Shalmani a quitté l’Iran avec sa famille à la suite de la révolution islamique en 1985. Quand on lui demande si elle est encore iranienne, elle a pour habitude de répondre que tout ce qu’elle a d’iranien, « la France lui est passé dessus, étant arrivée à Paris à huit ans sans jamais plus avoir revu Téhéran ». Elle l’écrit et le crie, elle est « métèque ». En Grèce antique, ce mot désignait simplement celui qui a changé de cité. Sous la plume xénophobe et assassine de Charles Maurras, il est devenu insulte avant d’être réhabilité par la chanson de Georges Moustaki, avec qui Abnousse Shalmani partage « les cheveux aux quatre vents ». C’est ce mot désuet que l’écrivaine a remis en lumière et élevé au rang d’esthétique. « C’est un mot qui fait peur, métèque, mais c’est aussi un mot qui charme. C’est un mot qui dit l’ailleurs, mais aussi le ver dans le fruit. C’est un mot qui fait trembler les frontières, les réactionnaires, les conservateurs. […] C’est un mot qui raconte la honte, le mouvement, la liberté et la solitude. » Et sous la plume érudite d’Abnousse Shalmani, au fil d’un voyage littéraire et cinématographique, le mot embrasse son histoire et celles, vécues ou imaginées, de Romain Gary, de Milan Kundera, de Khalil Gibran, de la muse haïtienne de Charles Baudelaire Jeanne Duval, d’Hercule Poirot ou des rôles joués par Ava Gardner. À l’heure où les origines et les souches ne sont plus que des étiquettes rassurantes pour certains, cruellement réductrices pour d’autres, à l’heure où les réfugiés afghans sont venus grossir les rangs des nombreux exilés déjà présents, à l’heure où les troisième et quatrième générations de migrants cherchent encore et toujours leur place dans la société, ce « cri d’amour pour les sans-frontières, les sans-pays, les sans-terre » revendique « l’identité indéfinie comme gage de liberté ». (ad)
Des idées et des mots