Espace de libertés | Octobre 2021 (n° 502)

Libres ensemble

La réforme du Code pénal sexuel est annoncée comme une adaptation nécessaire à l’esprit du temps et une étape importante dans la lutte contre les violences sexuelles. Mais le projet de loi n’offre pas l’avancée promise : il constitue même un retour en arrière sur de trop nombreux points.


Adopté en 1867, notre Code pénal est désuet à deux titres. D’abord, en ce qui concerne ses principes, car il témoigne encore de l’esprit de son siècle d’adoption. Ainsi, les crimes et délits en matière sexuelle ne sont pas envisagés comme une forme d’atteinte aux personnes, mais bien comme une offense à « l’ordre des familles et [à] la moralité publique ». Ensuite, les modifications successives dont il a fait l’objet au cours de sa longue existence l’ont rendu pratiquement illisible, tant pour les justiciables que pour les experts du droit, et particulièrement difficile à mettre en œuvre.

Afin de remédier à ces difficultés, le ministre de la Justice Koen Geens a nommé en 2015 une Commission de réforme, chargée de remettre un projet de nouveau Code pénal. Celui-ci a été finalisé quelques années plus tard, mais, à la suite des nombreuses modifications, la Commission a démissionné, considérant que ces dernières sont incompatibles avec l’esprit de ses travaux. Dans sa note de politique générale du 4 novembre 2020, Vincent Van Quickenborne, le ministre de la Justice qui a succédé à Koen Geens, a réaffirmé sa volonté de réformer le droit pénal. Pour lutter contre les crimes sexuels, priorité désignée du gouvernement, celui-ci a décidé de réécrire séparément le droit pénal sexuel, pour que cette réforme entre en vigueur rapidement. Cette dernière s’appuie en partie sur le projet de la Commission de réforme et a été déposée à la Chambre des représentants le 19 juillet dernier.

Un vrai écho aux changements de mentalités ?

Le projet de réforme entend rompre avec les principes du Code pénal actuel, afin de répondre aux changements des mentalités quant aux infractions sexuelles. En effet, il ne s’agit plus de protéger « l’ordre des familles », mais bien le droit à l’intégrité et à l’autodétermination sexuelles des individus. Dans cette perspective, le consentement devient central et est envisagé de manière plus large et selon une conception « positive » : le consentement doit être libre, il peut être retiré à tout moment et il ne peut être déduit d’une absence de résistance de la victime.

Le projet de réforme fixe la majorité sexuelle à 16 ans, c’est-à-dire qu’avant cet âge, tous les actes à caractère sexuel seront considérés comme des infractions. En effet, il considère qu’en dessous de 16 ans, le ou la mineur.e ne peut pas consentir valablement. Ce seuil connaît deux types de tempéraments1. D’une part, les mineur.e.s entre 14 et 16 ans peuvent consentir si leur différence d’âge avec l’autre personne ne dépasse pas deux ans. D’autre part, les moins de 18 ans ne peuvent pas consentir en cas d’inceste ou si l’autre personne est dans une situation de confiance, d’autorité ou d’influence.

Les seuils d’âge dans le Code pénal actuel prêtent à confusion : tous les actes à caractère sexuel avant 14 ans sont considérés comme des viols, et tous ceux avant 16 ans sont considérés comme des attentats à la pudeur, sans tenir compte de l’acte en tant que tel (avec ou sans pénétration sexuelle). Le projet remédie à cette situation incohérente, mais le raisonnement s’éloigne de la proposition de la commission d’expert.e.s et des études mentionnées par le Conseil d’État qui plaident pour une présomption de non-consentement avant 14 ans (avec certaines restrictions au-delà). En outre, l’exposé des motifs ne s’explique pas de sa décision de s’éloigner du projet de la Commission d’expert.e.s, qui prévoyait un tempérament à la majorité sexuelle. En effet, un.e mineur.e entre 14 et 16 ans ne pouvait pas consentir si la différence d’âge avec l’autre personne excédait cinq ans, alors que le projet prévoit une différence d’âge de deux ans.

Par ces choix, le projet de loi ne semble pas reconnaître l’autonomie sexuelle des adolescent.e.s. Bien sûr, la majorité sexuelle n’implique pas que les abus commis sur des personnes ayant atteint cet âge ne seraient pas poursuivis : le consentement est déterminant dans toutes les situations, et en son absence, il s’agira d’une infraction, sans égard à l’âge de la victime. En augmentant l’âge de la majorité sexuelle, le projet de loi risque d’entraîner une répression pénale des relations qui seraient consensuelles pour les mineurs, mais qui ne plairaient pas à leurs parents, par exemple. Cela pourrait porter atteinte à l’autodétermination de chacun.e, que le législateur entend justement protéger.

De la même façon, la référence à la moralité est maintenue. La notion de « bonnes mœurs » ne disparaît pas des termes de la loi, alors qu’il s’agit d’une idée qui renvoie à la morale publique plutôt qu’aux droits des individus. Le projet ne laisse pas de place à l’appréciation des personnes sur ce qui constitue une atteinte à leur intégrité sexuelle, car le caractère sexuel d’un acte est déterminé par ce qu’une « personne raisonnable » peut considérer comme tel. Si l’on comprend que la seule subjectivité de la victime ne peut pas créer l’infraction, car dans ce cas l’application de la loi serait incertaine, l’attention à l’intégrité sexuelle des personnes est pourtant limitée par cette circonstance. Le changement de paradigme en ce qui concerne les infractions sexuelles est donc relatif.

Une véritable compréhension de la problématique ?

Ce projet de réforme ne semble pas non plus en mesure de répondre au constat que la majorité des victimes d’infractions sexuelles sont des femmes, et la majorité des auteurs sont des hommes. Si la loi pénale doit être formulée de manière neutre – y compris en ce qui concerne le genre –, il convient d’œuvrer à une meilleure prise en charge de cette forme de violence, qui témoigne encore des inégalités auxquelles sont confrontées les femmes. À l’heure actuelle, on parle d’égalité formelle et non réelle, car l’application du droit de manière indifférenciée préserve les inégalités de genre plutôt que de s’en affranchir. Une approche globale et multidisciplinaire est nécessaire pour remédier à ces inégalités, jusque dans la répression des infractions sexuelles.

Le problème réside le plus souvent dans la preuve de l’infraction, qui peut être difficile à rapporter par la victime ou la police. Le projet de réforme n’envisage pas de solution sur cette question pourtant déterminante. Si la loi ne parvient pas à modifier fondamentalement la charge de la preuve, il faut prendre en considération d’autres pistes pour remédier à ces difficultés, notamment par le biais de la prévention et de la formation des acteurs de la chaîne judiciaire.

Une répression à tout prix ?

Lors de ses travaux, la Commission avait mené une véritable réflexion sur la place de la peine d’emprisonnement dans la répression. Mais puisque le gouvernement souhaite l’entrée en vigueur de la réforme du droit pénal sexuel avant la réforme globale du Code pénal, il a fallu revenir au système actuel, caractérisé par un recours à des peines toujours plus lourdes et plus longues. Rappelons que le fait que l’emprisonnement reste une peine de base et que l’on élargisse son champ d’application a poussé les expert.e.s de la Commission à démissionner. En plus de son apparente inefficacité, ce système s’éloigne des objectifs annoncés de la prison : la réparation aux victimes, la réhabilitation des condamné.e.s et la préparation de la réinsertion dans la société libre. En effet, la récidive est un réel problème en Belgique, puisqu’on estime à 57 % le taux de personnes condamnées une première fois qui ont récidivé. La réforme ne semble que très peu en tenir compte alors que ces chiffres démontrent la nécessité de repenser le système pénal et l’outil répressif afin qu’ils remplissent leurs objectifs.

L’ampleur de la réforme appelle à la prudence. De nombreuses problématiques y sont traitées, telles que la reconnaissance de l’inceste dans la loi ou la légalisation de la prostitution. La lutte contre la violence sexuelle doit faire l’objet d’une législation claire et effective. Or, les répercussions de ce projet de loi sur la pratique judiciaire semblent encore difficiles à cerner. L’application de la loi doit faire l’objet d’une attention particulière. La prise en charge des infractions sexuelles doit ainsi passer par une approche globale, notamment par des mécanismes de prévention, de formation des acteurs et un financement à la hauteur de la priorité que le gouvernement entend y attacher.


1 Limitation, atténuation ou assouplissement d’une loi ou d’une norme. C’est une interprétation moins stricte d’une disposition légale généralement inapplicable dans la pratique à cause de sa rigueur et de son inflexibilité, NDLR.