Espace de libertés | Avril 2018

Désamorcer l’homophobie en classe


École

Pierre-Stéphane Lebluy est enseignant à Gosselies. Pour la première fois de sa carrière, il donne cours de philosophie et citoyenneté. « Espace de libertés » le suit tout au long de l’année pour comprendre les enjeux – théoriques et pratiques – de ce cours; percevoir, au plus proche du terrain, les doutes et les espoirs qu’il suscite. Épisode 4: reportage en classe. Où l’on discute homophobie et discriminations.


C’est un incident entre élèves à l’Athénée royal Les Marlaires qui a poussé Pierre-Stéphane Lebluy, professeur de philosophie et de citoyenneté, à aborder avec ses élèves le thème de l’homophobie. «Un élève s’est fait insulter sur sa manière d’être», explique-t-il. «Comme le programme le permet, je pense que c’est un devoir d’aborder ce thème. Je constate une tendance à l’homophobie chez des garçons de l’établissement. Vu l’âge de ces jeunes, en pleine phase de construction, d’identification sexuelle, les mots qu’ils utilisent – comme “sale pédé” – peuvent être destructeurs.»

Ce lundi matin, les élèves de 3eB scientifique s’installent calmement. Pierre-Stéphane Lebluy annonce la couleur. On parlera, aujourd’hui, de discriminations et d’homophobie. Le professeur évoque les «stéréotypes», les «idées reçues»et interpelle les élèves de manière assez directe. «Si je dis “tous les Arabes sont des voleurs”, par exemple, qu’est-ce que ça vous inspire?»L’assistance bruisse entre indignation et sarcasme. Une jeune fille affirme sa pensée?«Ça, c’est carrément raciste!»Et Pierre-Stéphane Lebluy d’enchaîner:«Oui, c’est stigmatiser les gens en fonction de leur origine. Les stéréotypes s’appliquent à toute une série de personnes dans la société.»Et bien sûr, ils s’appliquent aussi aux homosexuels.

Pour susciter la réflexion chez les élèves, notre professeur s’appuie à nouveau sur un documentaire. Il fut diffusé sur France 2, dans la série «Infrarouge»et s’intitulait «Homos, la haine». Une jeune femme, homosexuelle, issue d’une famille plutôt bourgeoise et catholique y raconte le rejet qu’a suscité chez sa mère l’annonce de son homosexualité.

Un problème de valeurs?

Quelques garçons, plutôt situés vers le radiateur, semblent prendre ce témoignage à la dérision. Ils dégainent des sourires en coin dans leur barbe naissante. Mais dans l’ensemble, la classe est assez silencieuse. Hormis quelques élèves impliqués dans la discussion, il est difficile de savoir ce que cache ce silence – gêne ou désintérêt?Quoi qu’il en soit, Pierre-Stéphane Lebluy tente de démêler cette situation épineuse décrite dans le documentaire:«Quel est le problème entre cette fille et sa mère, est-ce un problème de compréhension?Est-ce un problème de valeurs?»Oui, ce sont certainement les valeurs religieuses de la mère qui entravent son lien avec sa fille, comprend-on dans le film. «La mère pourrait-elle remettre en question la façon dont elle interprète ses valeurs, sans pour autant les remettre en cause?»demande le professeur. «Peut-elle faire un autre choix que de rejeter sa fille?»Une grande majorité des élèves pense visiblement que «oui», et l’affirme soit en opinant du chef, soit en le disant. Le lien entre une mère et une fille doit être plus fort que tout, d’après ces jeunes gens. «C’est sa chair et son sang, après tout», lance une jeune fille voilée. Un jeune garçon ajoute:«Même si ça doit être difficile, en tant que parent, d’accepter ça.»

Puis le film reprend. La jeune fille parle de sa mère qui, malgré son éducation catholique, la poussait à fréquenter les clubs échangistes, les sites libertins. N’importe quoi tant qu’elle y rencontrerait un homme. «La mère de cette jeune femme associe l’homosexualité à une forme de jeu d’adultes, ou de plaisir extrême ou différent», décrypte Pierre-Stéphane Lebluy. «Mais l’homosexualité, c’est simplement de l’amour entre deux êtres humains du même sexe.»

Il n’est pas toujours évident, après un tel cours, de savoir ce que les jeunes ont pensé du contenu. Parfois, c’est par le biais de professeurs de religion que le professeur réalise que les thèmes abordés en classe ont pu choquer certains élèves, qui semblent attendre que le cours passe. Pierre-Stéphane Lebluy aimerait dépasser la phase de la «transition», celle où les élèves intègrent peu à peu les concepts, à la phase d’acquisition, lorsqu’ils sont capables de les appliquer à d’autres situations. En attendant, il se prépare à recevoir les élèves du cours suivant qui tambourinent à la porte. Une jeune fille le taquine:«Dites-le, qu’on vous a manqué!»crie-t-elle. Et c’est reparti pour une heure de CPC.