Espace de libertés | Avril 2018

International

En Hongrie, les élections législatives du 8 avril s’annoncent tendues. Triste programme en perspective avec une opposition en mal de représentativité, une extrême droite qui se défend bien, des ONG quasiment rayées de la carte et une corruption généralisée qui risque de peser sur les décisions des électeurs.


Dimanche 25 février 2018, toute la Hongrie a les yeux rivés sur Hódmezővásárhely, une petite ville d’à peine 50 000 habitants dans le sud-est du pays. Et pour cause!Dans le fief de János Lázár, numéro 2 du gouvernement  de Viktor Orbán, se tiennent des élections municipales anticipées. Lázár n’est pas candidat, mais cela n’empêche pas ces municipales d’avoir un parfum de répétition générale pour les élections législatives du 8 avril prochain. Finalement, vers 20 heures, le résultat tombe:contre toute attente et défiant tous les sondages, c’est le candidat conservateur indépendant soutenu par l’ensemble de l’opposition hongroise, ralliant socialistes, verts, libéraux et extrême droite (oui, vous avez bien lu!) qui remporte l’élection face au candidat soutenu par les partis de gouvernement Fidesz-KDNP.

À peine six semaines avant les élections législatives, cette victoire est inattendue, lourde de sens et surtout pose des questions extrêmement délicates. Certes, depuis le début de l’année, le parti d’Orbán a perdu 9%d’intentions de vote, mais il continue à récolter un stratosphérique 48%à comparer avec les deuxième et troisième partis, c’est-à-dire le Jobbik d’extrême droite à 18%et les socialistes à 17%. Un 48%d’autant plus stratosphérique que suite à une réforme électorale unilatérale imposée par Orbán durant son premier mandat, en 2014, les 44,9%de voix que son parti avait récoltées s’étaient vues traduites en une majorité de 66,83%des sièges du Parlement, lui conférant ainsi une majorité constituante. Or l’élection de Hódmezővásárhely semble suggérer non seulement que l’opposition pourrait limiter la casse, mais que si c’est toute l’opposition qui s’allie, c’est-à-dire l’extrême droite comprise, Orbán n’est peut-être plus imbattable.

Un paysage politique laminé

Pour comprendre la quadrature du cercle à laquelle l’opposition est confrontée, il faut bien se représenter un pays où huit années d’Orbanisme ont décimé les contre-pouvoirs. Un pays où le pouvoir exécutif est devenu expert dans l’art de travestir l’état de droit en une façade démocratique derrière laquelle les pouvoirs sont concentrés et les institutions publiques ont été mises au service du pouvoir politique. De là s’ensuit que l’opposition politique, mais aussi civique ou citoyenne, est laminée. L’autocensure est de mise de peur de représailles et la notion de pluralité des médias et de liberté d’expression s’est réduite à de rares îlots qui tentent tant bien que mal de ne pas plier devant les nombreuses pressions de l’appareil d’État.

Enfin, la communication gouvernementale n’est plus soumise à aucun contre-pouvoir et la machine à propagande, financée à grand renfort de deniers publics, travaille fort depuis plus de deux ans à créer l’amalgame entre réfugiés et migrants économiques. Mais aussi à harceler, et bientôt enterrer les ONG de défense des droits humains, présentées comme étant au service de forces internationales (en visant Georges Soros, Bruxelles, etc.) ou financées pour mener à bien d’obscurs plans d’invasion culturelle.
Difficile pour un parti d’opposition d’exister dans ces conditions, de se différencier, d’articuler des messages, de pousser un programme économique ou de proposer des débats nationaux. Face à cela, les opposants tâtonnent et donnent parfois un triste spectacle de politique politicienne où la mathématique électorale, le jeu des alliances et l’ambition personnelle semblent l’emporter sur le but commun:faire chuter Orbán.

En réponse, certains partis comme Momentum (centristes) ou LMP («La politique peut être différente», verts) rêvent de mettre sur pied un nouveau pôle politique centriste qui renverrait chez elle la classe politique actuelle qu’ils estiment corrompue et usée, un peu à la Macron. Ensemble, ils dépassent à peine les 10%d’intentions de vote. Les autres, tels que le Parti socialiste ou la Coalition démocratique (sociodémocrate) ainsi qu’un certain nombre de petits partis centristes et libéraux prônent la collaboration. Celle-ci pouvant prendre différentes formes – sujettes à de très nocifs débats s’étalant dans l’espace public – mais qui est pénalisée par les réformes de la loi électorale opérées par le gouvernement aussi bien dans les financements de campagne que dans les seuils électoraux nécessaires pour entrer au Parlement.

Corruption d’État

Dernière pièce maîtresse de cet échiquier politique:la thématique de la corruption et la suspicion de détournements de fonds systématisés qui seraient orchestrés au plus haut niveau de l’État. Sous les projecteurs, une histoire d’éclairage public financé par des fonds européens attribués à une compagnie appartenant au gendre du Premier ministre et dont l’implémentation a commencé, où? Vous ne devinerez jamais: à Hódmezővásárhely même, dans le fief du numéro 2 du gouvernement.

À ce sujet, l’Office européen de lutte contre la fraude (OLAF) d’abord, puis maintenant la Commission contrôle budgétaire du Parlement européen réclament qu’une enquête policière soit ouverte. En outre, tout le monde dans le pays s’étonne de la fulgurante ascension de Lőrinc Mészáros, chauffagiste dans le village d’Orbán et proche de ce dernier, dont la fortune personnelle s’est hissée au 5erang national durant les deux mandats de son ami.

Et c’est dans cette thématique de la corruption que la plupart des partis d’opposition, l’extrême droite en tête, voient leur occasion de se profiler et de faire chavirer Orbán. En effet, beaucoup attribuent la récente chute du Fidesz dans les sondages aux scandales répétés alors que les symptômes de l’effondrement des secteurs de l’éducation et de la santé se multiplient et que toujours plus de Hongrois se retrouvent sous le seuil de pauvreté.

Reste que même si la lutte contre le détournement d’argent et la volonté de remettre en place un système garantissant une certaine diversité politique pourraient, à la lumière des résultats de Hódmezővásárhely, inciter certains leaders politiques de gauche à considérer une alliance avec l’extrême droite dans les circonscriptions où cela pourrait empêcher le Fidesz de l’emporter, il n’est pas du tout sûr que l’électorat suive. Si ce n’est pas le cas, non seulement les électorats de ces partis se sentiront trahis, mais c’est une fois de plus Orbán qui sortira gagnant.

Alors, piège à éviter? Moindre mal justifiable par l’espoir de faire chuter ce qui est encore pire? Dernière chance avant la dictature?